PEAU D’HOMME

Scénario : Hubert
Dessin : Zanzim
Éditeur : Glénat
Collection 1000 feuilles
160 pages
Prix : 23,00 €
Parution : 03 Juin 2020
ISBN 9782344010648
Ce qu’en dit l’éditeur …
Sans contrefaçon, je suis un garçon !
Dans l’Italie de la Renaissance, Bianca, demoiselle de bonne famille, est en âge de se marier. Ses parents lui trouvent un fiancé à leur goût : Giovanni, un riche marchand, jeune et plaisant. Le mariage semble devoir se dérouler sous les meilleurs auspices même si Bianca ne peut cacher sa déception de devoir épouser un homme dont elle ignore tout. Mais c’était sans connaître le secret détenu et légué par les femmes de sa famille depuis des générations : une « peau d’homme » ! En la revêtant, Bianca devient Lorenzo et bénéficie de tous les attributs d’un jeune homme à la beauté stupéfiante. Elle peut désormais visiter incognito le monde des hommes et apprendre à connaître son fiancé dans son milieu naturel. Mais dans sa peau d’homme, Bianca s’affranchit des limites imposées aux femmes et découvre l’amour et la sexualité.
La morale de la Renaissance agit alors en miroir de celle de notre siècle et pose plusieurs questions : pourquoi les femmes devraient-elles avoir une sexualité différente de celle des hommes ? Pourquoi leur plaisir et leur liberté devraient-ils faire l’objet de mépris et de coercition ? Comment enfin la morale peut-elle être l’instrument d’une domination à la fois sévère et inconsciente ?
À travers une fable enlevée et subtile comme une comédie de Billy Wilder, Hubert et Zanzim questionnent avec brio notre rapport au genre et à la sexualité… mais pas que. En mêlant ainsi la religion et le sexe, la morale et l’humour, la noblesse et le franc-parler, peau d’homme nous invite tant à la libération des mœurs qu’à la quête folle et ardente de l’amour.

Du haut de sa tour, accompagnée de ses amies Rubina et Agostina, Bianca jeune demoiselle de la noblesse observe celui que sa famille a choisi pour elle : Giovanni. Elle regrette de devoir épouser un homme dont elle ignore tout et s’ouvre de sa déception à sa marraine. Celle-ci lui révèle alors un secret : les femmes de sa famille possèdent depuis des générations une « peau d’homme » qu’elles ont baptisée Lorenzo, sorte de combinaison intégrale qui transforme celle qui la revêt en beau jeune homme à la stupéfiante beauté. Si Bianca s’en sert, elle pourra approcher incognito son futur époux dans le monde « des hommes » et ainsi apprendre à le connaître . Et elle fera bien des découvertes …

IL ÉTAIT UNE FOIS …
Comme souvent dans les œuvres d’Hubert, le récit adopte la forme du conte traditionnel. Ceci se voit dès le titre qui est un clin d’œil à l’œuvre de Perrault, « Peau d’âne ». L’histoire se passe en un lieu et un temps indéterminés, mais comme dans « Le Boiseleur », on peut reconnaître l’époque du la haute Renaissance et peut être l’Italie avec l’architecture et les noms choisis. On a une bonne marraine, un objet magique, une jeune fille pure et innocente (ce que souligne son prénom), une quête, des méchants au sein même de la famille (et là on retrouve plutôt « Les Ogres-dieux ») et un dénouement en apparence heureux.


Le dessin coloré de Zanzim, faussement naïf, est à l’avenant : les héros sont très reconnaissables ( le nez de Giovanni, les grands yeux bleus de Bianca qui permettent de la retrouver aussi sous les traits de Lorenzo, la silhouette tout en raideur et les yeux noirs de Fra Angelo…) ; les décors sont épurés, les personnages cernés de noir dans la tradition de la ligne claire ; les visages – sans être caricaturaux – sont très expressifs et les sentiments sont souvent exprimés à l’aide de codes graphiques comme des petits tourbillons pour marquer l’émoi ou des nuages noirs pour signifier la colère. L’ensemble est d’une grande lisibilité.

Les cinq chapitres du conte sont tous introduits par une page de titre avec des enluminures, on observe de nombreuses pleines pages qui décrivent une succession d’actions avec déplacements des mêmes personnages et se lisent de gauche à droite et de haut en bas ou encore des pages muettes souvent sans bordure de cases qui rappellent la composition des livres d’étrennes victoriens pour enfants.
UN CONTE LIBERTIN
Mais attention, ce livre n’est pas à placer entre toutes les mains ! Il s’apparente aux contes libertins et fourmille de petits détails coquins. Ainsi dès la page d’ouverture , on observe un détail incongru dans les enluminures : ne peut-on pas y voir, reproduit clairement au milieu de la page, un vagin ?

On remarquera aussi la très drôle succession des plans quand la pucelle Bianca vêtue de sa peau d’homme découvre avec étonnement la transformation de son appendice masculin sous l’effet de ses caresses et ce qui s’ensuit … avec le passage sans transition à un plan d’ensemble sur le parc de la marraine et ses statues crachant des jets d’eau ! On citera encore le graphisme en ombres chinoises pour représenter les étreintes des amants qui reprend les représentations des théâtres d’ombres pornographiques du XVIIIe, la queue dressée des chats (allusion symbolique que l’on retrouve aussi dans « l’Olympia » de Manet) et bien sûr toutes les saynètes se déroulant en arrière ou en avant plan dans les scènes au « Chat qui louche » et le savoureux décalage de la double entente du poème du Peccorino et du contexte dans lequel il est déclamé. Bref, c’est drôle, léger, pétillant …et même oserait-on dire : jouissif !


TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE
Pourtant, ce n’est pas qu’un simple exercice de style gratuit car Hubert aurait pu reprendre à son compte les mots de La Fontaine « en ces sortes de fables , il faut instruire et plaire / et conter pour conter me semble peu d’affaire ». Derrière la drôlerie et la légèreté, des sujets graves sont abordés. L’idée de cette œuvre est venue au scénariste après les manifestations contre le mariage pour tous en 2013. Ecœuré, blessé et même apeuré par les réactions haineuses à l’égard de la communauté homosexuelle, il a pensé écrire un brûlot inspiré de son expérience personnelle qu’il aurait intitulé « Débaptisez-moi » ! Ceci aurait été dans la continuité de « La ligne droite » dans laquelle il racontait la difficile acceptation de son homosexualité à l’adolescence dans un milieu catholique intégriste ou dans celle de l’ouvrage collectif « Les Gens normaux » qu’il avait coordonné et dirigé et qui en dix témoignages en bande dessinée et cinq articles de spécialistes universitaires cherchait à faire réfléchir le lecteur sur la notion d’acceptation de soi et des autres, et interrogeait sur celle de « normalité » en prônant avant tout la tolérance.

Hubert a finalement décidé de changer complètement de stratégie : plus de pamphlet ni d’attaque directe ; un détour par la fiction, le merveilleux et l’atemporalité ; un ouvrage très coloré (alors que « Les Gens normaux » mis en bande dessinée par dix dessinateurs différents était intégralement en noir et blanc) mais toujours un même message : celui de tolérance. A travers un langage résolument anachronique, il donne le mode de décryptage de son conte philosophique qui parle en fait de notre monde d’aujourd’hui et traite de problèmes sociétaux très actuels. Ainsi, il aborde certes la question de l’homosexualité et de sa diabolisation, mais également celle de l’homoparentalité, de la famille recomposée, de la montée des intégrismes, de la place de l’art et de la femme dans la société. L’héroïne est suffisamment subtile et intelligente pour contourner les obstacles et ne pas se laisser imposer sa voie : elle fera ses propres choix et restera mettre de son corps et de son destin de façon très avant-gardiste .C’est également elle qui assure la narration dans les récitatifs ; ceci constitue une dernière pirouette amusante puisque le lecteur de bande dessinée -majoritairement masculin- expérimente ainsi métaphoriquement ce que vit Bianca en se retrouvant, grâce à la voix off, dans la peau d’une femme avec un regard féminin qui n’épargne nullement la gente masculine ! Peut-être une expérience salvatrice pour certains… qui sait ?
Cet album merveilleux est aussi un merveilleux album, peut être l’un des plus joyeux d’Hubert (malgré son épilogue doux-amer) entre Marivaux pour les quiproquo et la confusion de sentiments, « Victor, Victoria » de Blake Edwards pour la réflexion sur le rapport au genre et à l’identité et « Tootsie » de Sydney Pollack ainsi que « Some like it hot » de Billy Wilder pour l’humour, les savoureux dialogues et le rythme. Le tandem qu’il forme avec Zanzim, son complice de toujours, fonctionne admirablement tout en se renouvelant. C’est donc avec une immense tristesse qu’on se dit que cet éblouissement crée par ce duo sera le dernier puisque le scénariste nous a quittés … Si « Viva Lorenzo » fleurit sur les murs de la ville imaginaire, j’ai envie de conclure par un « Vive Hubert » !

POUR ALLER PLUS LOIN
La genèse de l’album
La leçon de dessin
La complicité entre Zanzim et Hubert

Sur toute la bibliographie de Zanzim, seule l’adaptation du Tartuffe de Molière n’a pas été réalisée par le duo mais en collaboration avec Fred Duval . Si sur « L’ile aux femmes » Zanzim est également le scénariste, l’association continue puisque son compère Hubert en est le coloriste !





Les sources d’inspiration pour la perspective axonométrique
Joos Swzarte, Giorgio de Chirico ( et également Pierre Clément et la pub Reynolds)


