FREAK PARADE

Scénario : Fabrice Colin
Dessin : Joëlle Jolivet
Éditeur : Denoël Graphic
144 pages
Prix : 23,00 €
Parution : 27 Mai 2020
ISBN 9782207136386
Ce qu’en dit l’éditeur …
Dans sa bourgade du Kentucky, où il vit une enfance difficile entre un père inexistant et une mère brutale, Harry Monroe rêve d’Hollywood. Depuis qu’il a vu le Nosferatu de Murnau, il n’a plus qu’une idée : travailler dans le cinéma.
Il débarque à Los Angeles en 1929 dans l’espoir de devenir scénariste. La chance finit par lui sourire. Il est engagé à la MGM comme troisième assistant sur le tournage du prochain film du grand réalisateur Tod Browning : Freaks (La Monstrueuse parade).
Il comprend vite à quoi il doit cette opportunité : les postulants habituels, rebutés par la présence d’authentiques phénomènes de foire, ont tous refusé le job. Entre les caprices des freaks, les humeurs d’Olga Baclanova, la star féminine, soumise à l’influence de Frank, son imprésario louche, les manœuvres douteuses de Jack, le premier assistant, et les extravagances alcoolisées de Tod Browning, l’atmosphère du studio devient vite irrespirable.

Encensé par les uns, décrié par les autres, Freaks – La monstrueuse parade – de Tod Browning, sorti sur les écrans en 1932 , tombé dans l’oubli, interdit même dans certains pays, réapparu ensuite au début des années 1960, est devenu depuis un film culte qui ne laisse personne indifférent. Dans Freak Parade – condensé des titres français et anglais – paru aux éditions Denoël Graphic, Fabrice Colin et Joëlle Jolivet nous font passer de l’autre côté du miroir et découvrir l’envers du décor hollywoodien aux côtés de Harry Monroe. Black is black …
Pas gaie, gaie, la vie du jeune Harry Monroe dans le middle of nowhere du Kentucky, coincé entre une mère tortionnaire et un père qui ferme les yeux. Alors, il va trouver un échappatoire : le cinéma! Le déclic ? Le Nosferatu de Murnau.

Oh bien sûr, ce n’est pas simple ! Pas de ciné à Williamsburg. Pour assouvir sa passion, il est donc contraint de se rendre à Louisville en compagnie de son oncle. Et là, la magie opère et une vocation voit le jour … Une énième crise de violence de sa mère va le laisser avec une main atrophiée. A la mort de celle-ci, il décide de jouer son va-tout et se rend à Hollywood bien décidé à devenir scénariste. Hélas pour lui, c’est le début de la Grande Dépression et ses rêves s’effondrent. Par chance, il croise Tod Browning qui va l’embaucher comme quatrième assistant sur le tournage de Freaks.
Chance ? Pas si sûr…

BLEU, JAUNE, ROUGE
Clap ! Moteur ! Dès la couverture, qui semble illustrer une scène de tournage, le ton est donné. Sur la première, figure une photo des différents personnages posant face à nous dans un décor de cirque. Le disque jaune de la poursuite met en lumière le titre ainsi que les visages des seules personnes ne faisant pas partie du monde des « freaks » : l’actrice principale et … Harry Monroe qui, logiquement, aurait dû se trouver sur la quatrième – représentant l’équipe du tournage – en lieu et place de l’autre Harry (Earles), l’acteur qui, dans le film de Tod Browning interprète Hans, le lilliputien amoureux de la belle trapéziste. Dualité … Jeu de miroirs …

Quelques mots sur le film et son réalisateur
L’action se déroule dans un cirque. Le nain Hans, étant tombé sous le charme de Cleopatra, la belle acrobate, s’éloigne peu à peu de sa fiancée Frieda. Apprenant que celui-ci vient d’hériter, Cleopatra décide de l’épouser avant de se débarrasser de lui avec la complicité de son amant. Mais les amis de Hans ne l’entendent pas de cette oreille et préparent leur vengeance …
Tod Browning, réalisateur des premiers films de vampires américains – muet avec « Londres après minuit » en 1927 et parlant avec le fameux « Dracula » incarné par Béla Lugosi en 1931 – est considéré comme le créateur du film d’horreur américain. Attiré par l’étrange, le macabre ainsi que le burlesque, ses thèmes de prédilection, dualité, culpabilité, vengeance, châtiment ou rédemption qui en découlent vont tous trouver leur place dans « Freaks« , qui cependant, pour effroyable qu’il soit a une toute autre portée.
Ce film a pour particularité son casting. Nul trucage ici. La femme à barbe, l’homme tronc, les sœurs siamoises, les trois microcéphales … ont tous été recrutés dans les fameux sideshows de la côte est des Etats-Unis alors à leur apogée.
Cependant, outre la violence, il y a chez Browning comme chez Pasolini et Mizoguchi un très fort sentiment de compassion pour ceux qui sont exclus et rejetés. C’est pourquoi Freaks, expérience à part dans l’histoire du cinéma hollywoodien, pose un regard empreint d’humanisme sur la monstruosité.
Un croisement entre deux mondes : le réel et la fantasmagorie
Ecrivain connu notamment dans le domaine de la fantasy et la science-fiction, Fabrice Colin est également un scénariste de bd à qui l’on doit notamment la série «La brigade chimérique».
« Freak Parade » est une fiction ayant pour cadre le tournage du film « Freaks« .
Le récit est admirablement bien ficelé. Les deux intrigues, celle du film et celle du tournage s’enchevêtrent, entrent en résonance ; la tension et le malais et l’angoisse vont crescendo jusqu’au point d’orgue final qu’est la scène hallucinante de la grande réversion.
Harry Monroe, personnage fictif, incarnation du candide, est d’une part notre guide qui va nous ouvrir les yeux et nous faire découvrir la monstruosité et la perversité d’un monde qu’on ne connaît pas – celui du cinéma hollywoodien – et d’autre part le lien entre les artistes de freakshow pour lesquels il va ressentir de plus en plus d’empathie et le reste de la troupe.
Comme nous le laissait présager la couverture, à l’instar de son double dans le film, il va tomber dans les filets d’Olga Baclanova, l’actrice qui joue Cleopatra. Les humiliations subies par le quatrième assistant et celles subies par Hans dans le film sont admirablement mises en parallèle lors du tournage de la scène finale de la noce. Cet instant est le point de basculement que ce soit dans le roman graphique, le film ou la nouvelle « Spurs » (Les éperons) de Tod Robbins (1923) dont le film est une adaptation.


Ajoutez à cela Jack, un premier assistant très ambigu et Frank, l’impresario louche d’Olga au physique d’Al Capone évoluant dans un univers lynchien dans lequel la maison noire n’est pas sans rappeler la loge rouge de Twin Peaks.
C’est sombre, très sombre, glauque, dérangeant, passionnant, envoûtant. Rien ne nous est épargné : chantage, menaces, abus en tous genres, sexe, drogue, alcool, vengeance, scène d’orgie sans oublier le « fantôme » qui hante le plateau … Et la frontière est bien mince entre la réalité, les fantasmes ou les hallucinations d’un personnage psychologiquement fragile …
L’illustration, ÉlÉment majeur de la narration
Bien connue dans le domaine de la littérature jeunesse, Joëlle Jolivet réussit avec brio son incursion dans le domaine de la bd. Son épais tracé au crayon croque avec justesse et précision les traits et expressions des personnages ainsi que la reproduction des scènes de film. Adepte du noir et blanc, plutôt « À suivre » que « Métal hurlant » selon sa propre expression, elle a effectué un travail très fouillé quant à la colorisation réalisée numériquement et le résultat a un petit côté expressionnisme allemand. Son désir était de manier la couleur comme au cinéma. C’est pourquoi elle a utilisé des filtres tout comme on en met sur un projecteur. Jouant sur les contrastes, la complémentarité des couleurs, la saturation, la manipulation de nombreuses gammes de couleurs, s’avère être un élément de la narration en créant des ambiances qui peuvent parfois aller jusqu’à une sensation d’enfermement, de malaise.
« Une fois qu’on apprend à regarder au-delà des apparences, ce que vous leur donnerez, ils vous le rendront. En bien ou en mal. »
Le « One of us » risque de nous hanter pendant longtemps.
Pour aller plus loin

Album paru en juin 2020 aux éditions Presque Lune, une très intéressante biographie de Schlitzie le microcéphale l’un des acteurs de Freaks. L’auteur, Bill Griffith a reconstitué sa vie en s’appuyant sur les archives et les témoignages de gens qui l’ont connu.
Reproduction du texte intégral de la nouvelle de Clarence Aaron « Tod » Robbins, publiée en 1923 sous le titre » Les Éperons » (« Spurs « ) dont Tod Browning s’est inspiré pour son film. Boris Henry, l’auteur de l’essai, procède à une comparaison entre le texte et le film, revenant sur les étapes d’écriture du long métrage, ses partis pris, le traitement qu’il réserve aux freaks – à l’origine de vives controverses au sein même de la M.G.M.

Un autre album sur les Freaks : L’homme à la tête de lion de Xavier Coste

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Chronique de Francine VANHEE

