L’HOMME À LA TÊTE DE LION

Scénario : Xavier Coste
Dessin : Xavier Coste
Éditeur : Sarbacane
208 pages
Prix : 29,00 €
Parution : 24 Aout 2022
ISBN : 9782377318131
Ce qu’en dit l’éditeur …
Du fauve ou de l’homme moderne, qui est le plus féroce ?
On dit que le bonheur est une vocation. Celle d’Hector Bibrowski, né dans un cirque à la fin du XIXe avec des poils recouvrant tout son visage, ne le rend pas heureux, mais il ne l’a pas choisie. Comme son père avant lui, il fera la tournée des villes européennes en compagnie d’avaleurs de sabre, de sœurs siamoises, d’hommes-troncs et autres bêtes de foire. Mais tout le monde n’a d’yeux que pour « l’homme à la tête de lion » qui, derrière son visage sauvage, est passionné de littérature et capable de converser comme le plus instruit des gentlemen. Bientôt, l’opportunité d’intégrer le plus grand cirque des États-Unis l’emmène dans le moderne New York où s’élèvent les gratte-ciels et les ambitions démesurées des hommes.
Dans ce monde qui a perdu toute échelle humaine et qui connaît les premiers balbutiements du cinéma, l’homme–lion restera-t-il le roi du spectacle ?
Après le fulgurant succès de « 1984 » récompensé par le prix Uderzo « de la meilleure contribution au 9e art »et le prix BD FNAC-France INTER 2022, nous attendions avec impatience le huitième album de Xavier Coste d’autant qu’il était cette fois à la réalisation complète : dessins et couleurs mais aussi scénario. En effet, il n’effectuait ni biographie, ni adaptation et était seul aux commandes. Et puis les premiers visuels ont fleuri sur les réseaux, le titre aussi : … « L’Homme à la tête de lion » publié comme le précédent aux éditions Sarbacane. Allons bon ! Xavier Coste crée un album sur le cirque ? Mais que pouvait-on dire ou écrire après le « Freaks » de Tod Browning ou l’«Elephant Man » de David Lynch ou la trop méconnue bande dessinée « Freak Parade » de Joelle Jolivet et Fabrice Colin? Et qu’en serait-il des paysages urbains dans la peinture desquels l’auteur excellait ? Cette chronique serait-elle donc, in fine, La chronique d’une déception annoncée ?
« SOUS LE PLUS GRAND CHAPITEAU DU MONDE » …

Tadadam, roulements de tambours, « Xavier Coste présente » comme il s’amuse à l’inscrire sur les affiches d’époque dont il parsème les murs que parcourent les différents cirques où se produit son héros.


Ce dernier, Hector Bibrowski, souffre d’hypertrichose. Mais qu’est-ce donc ? Une pilosité excessive qui fait apparaitre des poils longs d’une trentaine de centimètres sur le haut du corps et plus particulièrement sur le visage lui conférant l’apparence d’un lion. Il nous conte lui-même son histoire dans la voix off des récitatifs. Effectuant le même métier que son père puisque « quand [il] est né les gens comme [lui] étaient à la mode » déclare-t-il, il s’accommode tant bien que mal de sa vie de bête de foire dans le petit cirque étriqué où il est né, trouvant du réconfort dans la littérature et la peinture, jusqu’au jour où il est démarché par un grand Cirque américain -inspiré de Barnum- et tente le rêve américain…,
L’album est très documenté sur les ménageries humaines ou « sideshows » de l’époque. Il montre parfaitement l’engouement suscité par les Freaks : leurs conditions de vie, les coups marketing (mariages arrangés), l’argent qui coule à flot et leur position de star avec le personnage de Lobster boy par exemple. Coste évite d’ailleurs à ce propos la tendance à la cancel culture et montre comment ce destin de bête de foire pouvait être pour la plupart une chance paradoxale en leur permettant d’être adulés.


On remarque une précision quasi photographique du dessin inspiré des photos et affiches d’époque et la présence de « monstres » ayant réellement existé au premier rang desquels Bibrowski lui-même, Jojo l’homme chien qu’il remplace, Schnitzlie « tête d’épingle », Mirin l’avaleur de sabres, général Tom Pouce, Lobster boy ou Annie Jones la femme à barbe…















On s’aperçoit bien que ces personnages n’ont pas réellement cohabité. Certains étaint décédés ou trop vieux au moment de l’histoire qui se déroule dans les années 30.
Pourtant, il ne s’agit pas d’une bd historique ou de reportage, ce que signale d’ailleurs le changement de prénom du héros : Xavier Coste le baptise Hector et non plus Stephan (ou Lionel de son nom de scène) car il fait œuvre de fiction. De plus, toutes ces attractions humaines ont existé mais pas à la même époque. Aussi peut-on dire que leur rôle est symbolique et que l’auteur se livre davantage à une réflexion -sans le voyeurisme que je craignais- sur la différence et le sens de la vie. Le cirque n’est donc finalement qu’un prétexte !
« ASPHALT JUNGLE »
Avec le départ du héros vers le nouveau monde, l’on retrouve avec joie les paysages urbains ! Paf, ça claque dès les pages 6-7 qui présentent une première double page sur la statue de la liberté. Scène classique et inévitable (au bons sens du terme) de l’arrivée à Ellis Island où pour une fois, Hector n’est pas stigmatisé en tant que bête de foire mais en tant qu’immigrant.


« L’homme à la tête de lion » constitue une véritable ode à la ville des années trente également. Doté d’une pagination généreuse, il permet à Xavier Coste – qui reprend son format carré de « 1984 » – de déployer ses talents dans la peinture de la ville moderne. On y retrouve des références au « Metropolis » de Lang et même à Céline avec l’arrivée de Bardamu à New York dans « Voyage au bout de la nuit» : « New-York est une ville debout » dans son travail graphique. La mégalopole y apparaît de la même façon inquiétante et menaçante dans une focalisation interne qui adopte le point de vue du personnage. Les cadrages adoptés et en particulier la contre-plongée en mettent en valeur la monstruosité et insistent sur la déshumanisation de ses habitants. Hector, homme fin et cultivé, se livre d’ailleurs à une savoureuse typologie de ceux-ci et montrent comment ils se mettent eux-mêmes dans des cases/cages avec leur habillement et leur comportement. L’auteur nous délivre ainsi dans une subtile écriture métaphorique une vision pessimiste et claustrophobique de la société : finalement tous sont condamnés à « l’ultra moderne solitude ».

« PORTRAIT DE L’ARTISTE EN JEUNE… LION »
Le regard acerbe et son humour noir d’Hector masquent cependant une souffrance qui en fait un personnage très complexe. Et finalement, le personnage c’est le sujet principal de l’œuvre. Influencé par le cinéma de Truffaut, Coste a aimé se perdre dans les pérégrinations de l’homme lion mais cependant grâce à l’éditeur Frédéric Lavabre et à son scénariste d’ « A comme Eiffel », Martin Trystram qu’il remercie au début du livre, il ne nous propose pas un livre seulement contemplatif ou onirique (même si les 215 pages permettent des respirations dans des pages muettes nocturnes de toute beauté) mais une vraie histoire avec du suspense.

Il y a un grand travail d’approfondissement du caractère d’Hector qui, tout monstre qu’il est, est avant tout humain trop humain. L’auteur en fait un héros désabusé et alcoolique drôle toujours, arrogant et antipathique parfois, et souvent touchant à la recherche de la liberté et de son identité.
On notera également toute une réflexion méta-artistique (encore plus présent dans l’épilogue inédit de l’édition limitée de la librairie Bulle) qui permettrait presque à Xavier Coste de déclarer « Hector Bibrowski c’est moi ! ».
Dans la vraie vie Bibrowski était bien un érudit qui parlait cinq langues mais il aspirait à devenir dentiste et non artiste ! A travers lui et la relégation du cirque au second plan au profit du 7e art, le dessinateur stigmatise la société de consommation et s’interroge tout particulièrement sur le devenir de la BD et le dilemme du succès.


Sans être aussi radical que son héros, il se défait lui aussi de ses oripeaux : après « 1984, » il se renouvelle dans les thèmes mais aussi le graphisme. Il utilise une chromie réduite comme dans le précédent mais apporte quelque chose de plus grâce à l’utilisation d’une nouvelle palette – rouge et jaune pour les scènes de cirque, bleu et saumoné pour d’autres plus intimes- et à l’utilisation de trames constituant un clin d’œil aux techniques d’impression de l’époque et donnant un aspect suranné à l’album. Il se libère du gaufrier, propose de grandes vignettes , des pleines pages ou des doubles, joue avec la mise en page, les blancs, les contours… Il se livre à des expérimentations permanentes et à une mise en abyme : les toiles de l’un sont les illustrations de l’autre … Enfin, le dessinateur ainsi que son éditeur nous offrent un beau livre-objet qui s’inscrit ainsi de façon militante contre la tendance actuelle à la fast-littérature : on en peut qu’admirer l’épais papier, le soin apporté à l’impression et le souci du détail (même la reliure est aux couleurs du cirque !). On a envie de le relire et de le conserver et non de le jeter!

« L’homme à la tête de lion » est donc un album surprenant, exigeant aussi, qui s’inscrit finalement dans la rupture mais également dans la continuité de « 1984 ». On y trouve la même vision pessimiste du monde et des relations humaines, la quête impossible d’un paradis perdu … On comprend alors pourquoi Xavier Coste avait en projet d’adapter « La Route » de Cormack McCarthy . Pour des raisons de droit cela ne se fera pas … quel dommage ou peut-être au contraire quel bonheur si ce contretemps débouche sur un album au scénario original aussi réussi que celui-ci !
NB : Tous les enregistrements sont extraits de la rencontre Sarbacane du 20 juin 2022 pour la Rentrée graphique ( journée de présentation aux libraires)
POUR ALLER PLUS LOIN
Trailer de la Bd
réalisé par Xavier Coste
Quelques liens intéressants pour appronfondir le sujet :

Biographie succincte de Stephan Bibrowski
L’étonnante histoire de Stephan Bibrowski, l’homme à la tête de lion (fredzone.org)
Sur les Freaks et les ménageries humaines :
Biographie du fondateur des Freak show, Phineas Taylor Barnum qui inspire le personnage d’Hoffmann dans l’album
Des livres


Il n’y a pas qu’aux USA qu’on a exhibé des personnes comme des bêtes !
Francine Horneberger : Chercheuse spécialiste des Freak Shows
Cinéma et séries



Freaks
de Tod Browning
Elephant man
de David Lynch
La saison 4 d’American Horror Story … intitulée justement Freak Show
Une réponse à “L’HOMME À LA TÊTE DE LION”
[…] L’homme à la tête de lion […]
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