INTERVIEW DE GILLES ARIS au Livre sur la Place
(Septembre 2022)
Bonjour Gilles Aris, merci d’avoir accepté ce petit rendez-vous pour « Bulles de Dupondt » alors que vous êtes l’un des invités du Livre sur la Place ! Vous nous parlez de votre dernier album : « L’Écluse » paru mi-août 2022 chez Bamboo dans la collection « Grand Angle » avec Philippe Pelaez au scénario.

Après « Le vieux Ferrand » (avec Christophe Gibelin au scénario et à la couleur), « Lucienne ou les millionnaires de la Rondière en collaboration avec Aurélien du Coudray au scénario, vous formez un nouveau duo avec Philippe Pelaez pour « L’Écluse ». Est-ce ce que vous vous spécialisez dans l’évocation de la France rurale ?
Euh non pas spécialement, c’est vrai que j’aime bien le côté authentique des choses mais c’est chaque scénariste qui m’a proposé un sujet dans ce milieu, ce n’est pas moi qui suis à l’initiative !

Comment s’est formé d’ailleurs votre duo ?
C’est passé par « Grand Angle » en fait. L’équipe a tendance à lire d’abord des scénarios de scénaristes avec lesquels ils ont tendance à travailler. Pour Aurélien c’est « Grand Angle » ou plutôt l’éditeur Hervé Richez qui me l’a proposé et pour Philippe aussi.
Comment avez-vous travaillé ensemble sur ce projet ? Il habite à La Réunion donc peut-être que ce n’était pas très facile de vous voir ? Vous avez travaillé par visioconférence ?
Non par mail et puis j’ai reçu le scénario complet et j’ai d’abord fait tout le découpage et je l’ai envoyé autant à l’éditeur qu’au scénariste pour voir si ça correspondait à ce qu’ils avaient en tête. J’ai tendance à changer des petites choses de temps en temps selon ma sensibilité de narration aussi tout en essayant de coller le plus possible à ce qu’avait proposé Philippe. On s’était vus une fois ou deux à Angoulême aussi.
Ce qu’on n’a pas précisé, c’est que Philippe est très cinéphile et qu’il a une formation en cinéma (il est enseignant en audiovisuel) tandis que votre éditeur Hervé Richez est aussi scénariste (de « La petite voleuse de la tour Eiffel » entre autres). Ils vous ont laissé tout de même carte blanche ?
Ils se concentrent plutôt sur la trame scénaristique. Pour le découpage graphique j’ai eu le champ libre même s’il est vrai que Philippe m’avait donné un scénario découpé case par case, page par page. Il fonctionne comme Christophe Gibelin « à l’ancienne » tandis qu’Aurélien Ducoudray me fournit lui une suite dialoguée. Philippe a une vision cinématographique mais pour moi le cinéma et la Bd ont des codes différents et c’est pour cela que de temps en temps j’ai tendance à rajouter des choses avec l’aval tout de même du scénariste ! J’avais prévenu Philippe dès le début que j’avais besoin de réadapter et je ne me suis pas senti restreint au contraire mais je n’ai pas changé tant de choses que cela au final !
On a des descriptions très précises et un décor fouillé d’un village qui existe, c’est le village de Douelle dans le Lot, comment est-ce que vous avez procédé ?
C’est un village où vit la sœur de Philippe, c’est en allant la voir j’imagine qu’il a dû avoir l’idée d’y situer une intrigue. Il m’avait déjà fourni pas mal de photos et même de petites vidéos qu’il avait prises là-bas. Et ensuite j’ai eu l’occasion d’aller là-bas. J’y ai vu l’espace. J’avais eu tendance à tout imaginer plus grand et je me suis aperçu que c’était vraiment resserré, que les ruelles étaient super étroites et j’ai complété ma doc avec de nouvelles photos, des angles qui n’avaient pas été pris et dont j’avais besoin pour l’écluse, le lavoir ou le village en lui-même. J’ai respecté les lieux principaux mais en revanche pour les cases où l’on voit quelques-unes des maisons, c’est un mix entre plusieurs bâtiments.


Bien sûr, ce n’est pas de la BD documentaire ! Pour rebondir sur ce que vous disiez sur les codes différents entre BD et cinéma, on peut remarquer quand même un immense soin dans la composition des planches, dans le choix des angles de prise de vue, la contre-plongée écrasante, l’utilisation de cases verticales… Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
Pareil, ça dépend du projet. Sur « La balade de Dusty », j’étais parti sur un format de 4 strips et à partir de « Lucienne » j’ai préféré utiliser 3 strips pour essayer d’aérer un petit peu les pages. Pour « L’Écluse », j’ai essayé de conserver également ce format pour que ce soit plus aéré. On est souvent dans de grands espaces que ce soit la campagne ou bien l’escalier de Neptune en Écosse où il y a huit ou neuf écluses qui s’enchaînent d’où l’importance d’avoir une grande case verticale pour bien le montrer. Celle-ci a été un peu longue à faire et j’ai profité du fait que l’on revoie à la fin ce lieu-là pour réutiliser le même plan avec une ambiance différente ce qui m’a permis de lui consacrer plus de temps pour bien la fouiller.



Sinon, oui j’essaie aussi de jouer le plus possible avec les cases pour le rythme. Je ne sais pas si ça marche – ça c’est au lecteur de le dire – mais par exemple je joue sur les cases qui s’enchevêtrent dans une séquence de poursuite dans Douelle. Dans une séquence de poursuite, il y a une planche que j’ai entamée par une grande case verticale où l’on est dans des petites ruelles très resserrées avec pas mal de premiers plans pour bien montrer le piège et comme la fille qui fuit prend peur au fur et à mesure, j’ai rétréci d’autant plus les cases. C’est le genre de truc narratif que j’essaie de faire de temps en temps pour compléter les intentions du scénariste et souligner ce qu’il veut faire passer.
Justement ce qu’il veut faire passer, je crois, c’est aux antipodes de d’une autre série chez Grand angle : c’est la série des adaptations de Pagnol. C’est très bucolique et champêtre alors que chez vous c’est bien noir ! J’aimerais que vous nous parliez de votre utilisation …du rouge !


J’ai essayé d’utiliser les couleurs de façon narrative et de pousser plus loin ce que j’avais commencé à faire avec « Lucienne ». Il y a du rouge qui revient régulièrement quand il y a quelque chose d’agressif que ce soit avec avec Alban lorsqu’il s’énerve ou durant la poursuite dont on parlait. Il y a aussi une petite séquence avec le boucher qui montre sa colère qui monte et souligne la violence « en ébullition » dans le village. Cela souligne les émotions. Mais cela me permet aussi d’ailleurs de détacher mieux certains plans. J’ai utilisé un peu de bleu aussi pour certains personnages sur le même principe pour affirmer quelque chose sur eux. On s’attarde ainsi plus dessus et ils ne sont pas noyés par le décor.


Et l’on retrouve d’ailleurs ce noir et ce rouge dans la couverture mais on en parlera tout à l’heure …
Alors honnêtement au début de la lecture, on peut être surpris devant les traits des personnages qui sont semi réalistes et un petit peu enfantins. Est-ce que vous avez choisi justement de conserver ce type de rondeur enfantine en contrepoint de l’histoire très sombre qui est racontée ?
J’aime bien justement qu’il y ait un petit décalage. Avec un dessin trop réaliste, on rabâche la même chose. C’est donc une proposition que j’avais faite à Philippe, j’estimais qu’avec ce décalage ça pouvait donner un petit malaise en plus. J’aime aussi que les personnages soient bien caractérisés physiquement, que le lecteur ne les confonde pas et n’ait pas de doute sur qui est qui !

Pour le personnage d’Octave (effectivement bien caractérisé !), vous vous êtes inspiré de Quasimodo. C’était une demande ?

Oui et non. La référence était clairement dans le scénario avec Fanette comme Esmeralda et l’inspecteur qui joue finalement le rôle de Phoebus. Dans ma toute première recherche de personnages, j’ai tendance à dessiner comme moi j’ai lu et j’avais sorti un Octave beaucoup plus difforme, beaucoup plus Quasimodo alors que le personnage de la bd de Philippe était beau au départ, il a juste été déformé …
Stop ! Il ne faut pas tout dire…
Mais il ne fallait pas que sa déformation soit trop physique en fait.
La couverture c’est tout de même un beau clin d’œil au roman d’Hugo, non ?
La couverture a été compliquée à faire. On a fait beaucoup d’allers et retours mais toujours avec cette idée d’architecture. Au début ma proposition avait été refusée par ce que l’action sur l’écluse ne convenait pas mais quand je suis revenu à la charge avec cette compo, il y avait clairement avec l’écluse verticale cette image de la cathédrale liée à Quasimodo qui l’intéressait et qu’il souhaitait conserver.
La couverture : les différentes propositions jusqu’au rough de la version finale








Quels sont vos autres projets ?
J’ai deux bouquins à finir. L’un qui sera un recueil de planches gag dans un tout autre style graphique et un autre album « plus classique » avec Aurélien Ducoudray. J’ai commencé les pages test.

Merci beaucoup et bonne fin de festival

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