COLORADO TRAIN


COLORADO TRAIN

Colorado train
Scénario : Alex W. Inker
d’après Thibault Vermont
Dessin : Alex W. Inker
Éditeur : Sarbacane
256 pages
Prix : 29,00 €
Parution : 7 septembre 2022
ISBN 9782377317691

Ce qu’en dit l’éditeur

Milieu des années 1990 une ancienne ville minière écrasée de toutes parts par les montagnes rouges du colorado
C’est dans cette Amérique « profonde », oubliée dans une décennie de prospérité économique, que grandit Michael, un ado paumé, style skateur, cheveux mi-longs, baggy, hoody et Converses. Il y a aussi Durham, le gamin SDF accro au crack ; le gros Don qui s’efforce d’échapper aux brutes du collège ; et bien sûr, Suzy, la rebelle androgyne
, toujours un coquard au coin de l’œil laissé par son shérif de père Mais la vie est belle parfois, entre le skate, l’école buissonnière, les rêves, les premières fois, de l’amour aux bières, tout ça sous le soleil cuisant de juillet.

Jusqu’au jour où un gosse de la ville qui avait disparu est retrouvé, à moitié dévoré. Aussitôt, les quatre potes décident d’enquêter. Dans l’ombre, le tueur – la Chose ? –les regarde s’agiter. Et bientôt, les prend en chasse

Welcome to Colorado, sa cité minière désaffectée, ses adultes dépassés, ses ados paumés, sa voie ferrée où sifflent les trains happés par les hobos et son meurtrier à côté duquel l’ogre des contes fait figure de bisounours.

Bienvenue à bord de Colorado train, le thriller horrifique d’Alex W. Inker paru chez Sarbacane.

Voyage au bout de l’enfer

Si la couverture reprend l’esthétique des cartes postales américaines avec des extraits du récit en lieu et place des lieux habituels, le fond noir envahissant tout l’espace annonce la couleur.

En 4ème, un train orange fonce vers nous alors qu’en arrière-plan, dessinée par le paysage, se dresse la silhouette du tueur …

Années 1990, une ville minière du Colorado

Michael, Suzy et Donnie, trois ados déjà cabossés par la vie mais solidaires partageant cigarettes, premières gorgées de bière, virées en skate trainent leur mal être le long de la voie ferrée à l’heure où selon la légende rôde le Wendigo. Durham, un jeune marginal accro au crack va intégrer ce petit cercle d’amis auquel se joint parfois sur son vélo Kevin, le petit frère de Michael le jour où il va prendre la défense de Donnie, bouc émissaire de la bande de Moe, le caïd du coin. S’en suivra une baston mémorable. Gare aux représailles … Aussi quand Moe va disparaître, c’est d’abord le soulagement. Puis viendront l’inquiétude, et l’horreur enfin à la découverte du bras de Moe en partie dévoré. Par goût de l’aventure, poussés par la curiosité de leur âge, pour se faire peur aussi, ils décident de mener leur propre enquête et vont ainsi se jeter dans la gueule du Wendigo …

« Si tu vas seul dans la forêt, la créature des bois prend la place de ton ombre … il t’arrache les deux mains et te fourre tout entière dans un sac déjà bourré d’os pourris et là tu crèves lentement et personne t’entend crier »

Stephen, Thibault, Alex …

Colorado train est l’adaptation du roman éponyme de Thibault Vermot paru en 2017 également chez Sarbacane. Ce n’est pas la première fois qu’Alex W. Inker adapte un roman. Il l’avait déjà fait avec brio pour Servir le peuple de Yan Lianke en 2018 et Un travail comme un autre de Virginia Reeves en 2021. Qui dit adaptation, dit suppression de scènes, voire de personnages. Ils étaient 5 dans le roman, il ne sont plus que 4. Si le roman est un hommage appuyé à Stephen King et au film « Stand by me », adaptation de la nouvelle The body, en se l’appropriant, Alex Inker a gommé les références trop explicites. Thibault Vermot avait pris soin en situant l’intrigue à Durango, à être très précis dans sa description des lieux, allant même jusqu’à reproduire un plan de la ville en tête d’ouvrage. Dans le roman graphique en revanche, Alex Inker a fait le choix d’une ville anonyme dans une Amérique fantasmée. Ce ne sont pas les lieux qui l’intéressent mais les personnages et l’époque.

Du roman au roman graphique

Color-ados : Du Colorado aux couleurs de l’adolescence

Les hobos, les États-Unis, les années 90, l’adolescence … tels sont les thèmes développés par l’auteur.

Comment ne pas éprouver d’empathie pour ces ados livrés à eux-même : pour Suzy, confrontée à la violence et l’alcoolisme de son père, pour Michael et Kevin dont le père est en cavale, pour Donnie dont le père collectionne les séjours derrière les barreaux tandis que sa mère s’abrutit de médocs, pour Durham enfin ayant lui coupé les ponts avec sa famille et déjà accro au crack ?

Heureusement il y a le skate, la musique, les virées, leur amitié, l’idylle naissante entre Suzy et l’un des trois garçons, l’affection liant Michael à son petit frère. Tout ça les rend parfaitement attachants. Le dénouement de l’histoire n’en sera que plus terrible.

Colorado train : « Un cadeau à l’Alex de 15 ans« 

L’adolescence

Les années 90

Génération X

Les codes, Alex W. Inker les a: le skate, les baladeurs à cassettes … et la musique car la musique est omniprésente.

Le récit est découpé en 20 courts chapitres (plus un portant le symbole de l’infini, je n’en dirai pas plus …) dont les titres ne sont autres que ceux de morceaux des années 90, du grunge bien sûr mais pas que. En page titre de chapitre, on trouve une cassette. Quant à la numérotation, elle est matérialisée par des clous, ces clous de chemins de fer que d’aucuns en Amérique se plaisent à collectionner. En fin d’album, on retrouve la playlist sous forme de QR code.

« Stephen King le fait dans Christine je crois, donner un titre de chanson à chaque chapitre. C’est ce que j’ai fait aussi. Il y a une ambiance. C’est l’Amérique des années 90 … ça peut passer par Metallica ça peut passer par plein de trucs. C’est un univers à la fois visuel mais aussi musical et aussi olfactif …« 

Rencontre Sarbacane du 20 juin 2022 pour la Rentrée graphique

Les couleurs de l’adolescence, oui, mais en noir et blanc

La musique de l’adolescence, les couleurs de l’adolescence. Et pourtant le roman graphique est totalement en noir et blanc, pas même une nuance de gris. Colorado train, c’est une claque au niveau du propos, mais c’est aussi une claque au niveau du graphisme. Le dessinateur a délaissé la bichromie ou trichromie de ses précédents albums, et a opté pour un puissant noir et blanc texturé qui nous happe dès les premières planches. Le noir envahit les pages lors des nombreuses scènes nocturnes avec une utilisation magistrale de la lumière alors qu’on va se noyer dans le blanc lors de l’épisode se déroulant dans la neige.

Il ne cesse de nous surprendre, les pleines pages étant tour à tour, des moments de respiration comme par exemple ce paysage qui rappelle Twin Peaks (page 169) où au contraire se révèlent être de véritables électrochocs pour le lecteur.

Du crayonné à l’encrage : plume, pinceau, Posca

Black and white

Crumb et les autres …

De la chronique sociale au thriller horrifique

L’Amérique d’Alex W. Inker, ce n’est pas celle des paillettes, Hollywood et de l’American Dream. c’est plutôt celle des laissés pour compte, victimes de la dureté d’une société dans laquelle ils n’arrivent pas à trouver leur place et les premières victimes, ce sont toujours les jeunes essayant tant bien que mal se frayer un chemin sur fond de misère sociale et de violence. Drogue, alcoolisme et stigmates de la guerre du Vietnam font des ravages.

« C’est sur l’Amérique blanche déclassée mais quand je dis blanche, c’est pas vrai parce que j’ai aussi retravaillé l’histoire de Thibault pour qu’elle ne soit pas blanche parce que l’Amérique pauvre n’est pas blanche. Il y a l’un des personnages principaux qui est hispanique. » 

Rencontre Sarbacane du 20 juin 2022 pour la Rentrée graphique

Alex Inker va sortir de sa zone de confort pour se lancer dans un genre qu’il n’a pas encore exploré : le thriller horrifique.

« Derrière ces jeunes pour la, plupart livrés à eux même , il y a des dangers. Donc l’idée du conte qui a un côté très conte de fées quand même c’est de matérialiser tous ces dangers en un grand méchant […] on a toute cette jeunesse laissée pour compte des trailer parcs américains de ces années 90 qui n’a pas profité du boom économique. On a un grand méchant qui poursuit les gamins. Ce grand méchant, il est tous ces dangers-là. Ce Wendigo, c’est une légende mais même s’il apparaît dans l’histoire, moi ce que j’essaie de mettre en place c’est que les gamins en fait sont livrés à eux mêmes et sont en danger.« 

Rencontre sur le Charles Marie, Quai des bulles, 9 octobre 2022

Et c’est la une des grandes réussites de l’album : glisser de la chronique sociale au récit d’horreur.

J’essaie de travailler dans l’image, arriver à faire quelque chose de poisseux parce que l’horreur c’est un genre, c’est aussi un challenge qu’on veut se donner. faire peur à ton lecteur mais la peur elle passe par le découpage, faire monter ne tension le lecteur mais aussi le dégoûter, le hanter. Déjà, si je peux avoir quelques lecteurs qui ont ce mouvement de recul face aux planches, je suis content.

Rencontre Sarbacane du 20 juin 2022 pour la Rentrée graphique

Si ce genre est très présent dans les mangas et comics, ce n’est pas le cas dans la bd franco belge.

L’inspiration : manga ou comics?

Une scénarisation parfaitement réussie

Son noir et blanc ? Terriblement efficace ! Mais Alex Inker n’est pas seulement un très bon dessinateur, c’est également un excellent scénariste. Ce que j’aime particulièrement chez lui, c’est sa mise en scène où la narration se fait par l’image, ses dialogues au cordeau, son découpage cinématographique (N’oublions pas qu’il est titulaire d’un master en cinéma ), son sens du rythme, la tension qui va crescendo, son sens du détail, l’empathie qu’il suscite pour ses personnages … Tout sonne juste. On tremble pour eux, avec eux jusqu’à l’issue fatale.

La relation texte image

Où est Charlie?

Ce véritable page turner nous offre un final explosif et un épilogue qui laisse la porte ouverte à de multiples interprétations. Si pour certains personnages, nul doute n’est permis , ils resteront bien sur le carreau ou plutôt sur la voie, pour d’autres en revanche ce n’est pas si simple …

Avec son puissant noir et blanc grungy qui sied bien à l’ambiance glauque, poisseuse de ce récit parfaitement maitrisé qui nous fait sombrer peu à peu dans l’horreur, Alex W. Inker nous démontre une fois de plus que pour lui, tous les genres sont permis !

Les propos dAlex W. Inker sont tirés de l’entretien téléphonique enregistré le mercredi 3 novembre 2022 dans les studios de la radio RCN Nancy.

POUR ALLER PLUS LOIN
Les petits carnets d’alex

Alex W. Inker à une méthode de travail qui lui est propre. Pour chaque album, il crée un storyboard très précis ans un petit carnet. Son rythme de travail ? 1 a 2 pages par jour le matin, l’après-midi étant consacré aux recherches, à la documentation. En l’espace de 2 à 3 mois, le récit est achevé.

« Pour toutes mes bd, j’ai des petits carnets qui correspondent à la 1ère version de chacune de mes BD. Le fait d’avoir l’objet livre déjà en mains, tu as le rythme, le rythme de la lecture aussi et ça c’est un truc qu’on travaille vraiment en amont, le découpage des pages.« 

Rencontre sur le Charles Marie, Quai des bulles, 9 octobre 2022

Ses autres Albums

Cliquez sur la couverture de Panama Al Brown pour découvrir l’adaptation numérique interactive d’Arte TV.

Ses PROJETS

Outre la suite d‘Apache qui sortira à l’occasion du 10ème anniversaire du premier opus, une autre collaboration avec Thibault Vermot est prévue. Grande première pour tous les 2 ! Grande première pour Thibault Vermot puisque ce sera son premier scénario bd. Grande première pour Alex W. Inker aussi puisque ce sera le premier album scénarisé par un autre. Le sujet? Je vous le laisse découvrir …

l’entretien téléphonique

Cliquez sur la photo


Laisser un commentaire