Le discours de la panthère

Scénario : Jérémie Moreau
Dessin : Jérémie Moreau
Éditeur : 2024
108 pages
Prix : 26,90 €
Parution : 22 octobre 2020
ISBN 9782901000464
Ce qu’en dit l’éditeur
Un buffle pousse de toutes ses forces sur la paroi, enfonçant sa tête dans la roche pour déplacer une île. C’est qu’une comète, qui file dans le ciel, viendra bientôt heurter la surface et exploser ce bout de terre. Il le sait, il l’a vu dans ses rêves, c’est ce qu’il dit au varan qui le rejoint dans son effort.
C’est ainsi que commence ce récit, formé de plusieurs histoires courtes où les animaux occupent seuls le devant de la scène. Au fil de ces récits, on suit un étourneau perdu en pleine migration, une autruche qui doute, un jeune éléphant apprenant l’histoire du monde… Cet ensemble de paraboles d’une grande force d’évocation nous replonge dans les délices des fables de La Fontaine autant que dans les images tourmentées du Livre de la Jungle. Habilement, Jérémie Moreau parvient à décentrer notre regard et à dépasser l’apologue moral humaniste ; les animaux deviennent des vivants, aux existences et aux beautés singulières.
Après La Saga de Grimr et Penss, Jérémie Moreau, en pisteur qui sait lire les signes et les traces, continue d’explorer, dans ce discours de la panthère, les chemins qui mènent aux origines du monde.

C’est l’histoire de la vie … et de la mort aussi. Que vous soyez à l’aube, au mitan, au crépuscule de celle-ci, je vous invite à vous plonger dans le sublime album de Jérémie Moreau, Le discours de la panthère, paru aux éditions 2024. Nul doute que cet élégant ouvrage hors normes – au sens propre comme au figuré – va vous séduire, vous subjuguer par l’extrême beauté de son image épurée et la profondeur de son propos. Un magnifique conte philosophique non exempt de poésie où l’animal s’interroge sur les choses de la vie.
Pour Jérémie Moreau, l’idée de ce récit original a vu le jour suite au choc éprouvé devant un reportage animalier de Life, émission produite par la BBC. On y voyait un dragon de Komodo mordre un buffle à la patte et rester durant trois semaines auprès de lui à attendre patiemment que sous l’effet du venin le buffle s’affaiblisse, puis meure avant de s’en repaître.
« Comment le dragon de Komodo peut-il passer tant de temps auprès de sa victime sans tisser des liens ?«

Voilà la question que l’auteur s’est alors posée. Ce questionnement donnera naissance à la première histoire, celle d’un buffle tentant de déplacer non pas une montagne mais une île, mordu par un varan et la relation qui va en découler. Vont suivre quatre autres récits dont les héros ne sont autres qu’une autruche en phase d’émancipation, un étourneau désireux d’aller voir si le ciel n’est pas plus bleu ailleurs, un éléphanteau et son grand-père passeur de mémoire, un bernard-l’hermite en quête de sa coquille.

Bien que ces cinq récits soient indépendants, les animaux s’y croisent furtivement avant de se rejoindre dans l’ultime épisode. Et Il faudra attendra ce sixième conte pour rencontrer Sophia, grande sœur de Bagheera qui en rassemblant les cinq pièces du puzzle va composer l’époustouflante image finale mettant en lumière une différence majeure existant entre un grand absent de ce récit, l’homme, et les autres espèces animales.

Après La Saga de Grimr, Fauve d’or 2018 à Angoulême et Penss, l’auteur, adepte de la pensée philosophique de Philippe Descola et de Baptiste Morizot – dont les recherches portent principalement sur les relations entre l’humain et le reste du vivant – poursuit sa quête des origines du monde.
Six histoires dans lesquelles les animaux que nous allons suivre s’interrogent sur le monde et sur eux-mêmes. Des fables oui mais sans morale, des paraboles qui nous ramènent à l’essence même du vivant. Se détournant de l’anthropomorphisme où l’on part des comportements humains pour les appliquer à des animaux, les différentes quêtes animalières sont ici initiées par les spécificités de leur espèce. Dépassant l’empathie que l’on ressent pour les différents protagonistes, nous nous glissons dans la peau et la conscience de ceux-ci, devenons buffle, varan, étourneau, éléphant, bernard-l’hermite et voyons ce monde originel à travers leurs yeux. C’est absolument prodigieux !


La mise en images est bluffante ! L’illustration est sublimée par la très grande taille de l’album. Le dessinateur a confié avoir beaucoup lu de livres de Babar à sa fille pendant le confinement et s’être inspiré de cette esthétique pour l’album. Son trait épuré à l’extrême offre une très grande lisibilité et colle parfaitement au propos. Concernant la mise en pages, il fait preuve d’un sans faute tant au niveau cadrage que découpage. Pour finir, il a porté un soin tout particulier aux décors inspirés de photos qui envahissent les planches. Il a su donner de la matière, de la texture à ces illustrations réalisées à l’ordinateur en supprimant le lissage qui parfois résulte de ce procédé. On a envie de toucher… Les couleurs sont lumineuses, vibrantes, mettant en valeur ce qu’il appelle les « forces invisibles ».


« Quand je dessine une montagne, j’ai envie de dessiner les forces géologiques qui ont permis à lui donner cette forme-là et je reviens toujours là-dedans au moment de la couleur pour sculpter les décors. »
Eh bien ces forces, non seulement on les voit, mais on les ressent !
Le discours de la panthère ? Un récit fort, poétique, philosophique et empreint non pas d’humanité mais d’animalité au sans noble du terme offrant plusieurs niveaux de compréhension que l’on peut interpréter de mille et une façons. Un album fascinant pour les petits comme pour les grands !

POUR ALLER PLUS LOIN
Chronique du dernier album de Jérémie Moreau : Les pizzlys

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