LE BUREAU DES JARDINS ET DES ÉTANGS


Le bureau des jardins et des étangs

Le bureau des jardins et des étangs
Adaptation : Julia Bourdet
d’après Didier Decoin
Dessin : Julia Bourdet
Éditeur : Stock Graphic
224 pages
Prix : 25,00 €
Parution :  19 octobre 2022
ISBN 9782234093652

Ce qu’en dit l’éditeur

Empire du Japon, époque Heian, XIIe siècle.
Après le décès brutal de son mari Katsuro, pêcheur de carpes et fournisseur des étangs sacrés de la cité impériale, Miyuki doit prendre sa place pour porter jusqu’à la capitale les beaux poissons aux écailles éclatantes.
Chaussée de sandales de paille, courbée sous la palanche à laquelle sont suspendus ses viviers à poissons, Miyuki quitte pour la première fois son village et entreprend un périple à travers forêts et montagnes. Sur son chemin elle passera de temple en maison de rendez-vous, elle affrontera orages et séismes, la trahison des brigands et la cruauté des mères maquerelles, mais aussi la fureur des kappa, montres aquatiques qui jaillissent de l’eau pour dévorer les entrailles des voyageurs…

Avec force et poésie, encre et couleurs, redécouvrez l’immense roman de Didier Decoin et son héroïne inoubliable Miyuki.

Au XIIème siècle, Katsuro et son épouse Miyuki vivent à Shimae, petit village de l’Empire du Japon. Il est pêcheur de carpes destinés aux étangs sacrés de la cour impériale. Sa femme a la charge de l’entretien des bassins où les carpes s’épanouissent avant de retrouver Heiankyõ, lieu de résidence de l’Empereur. Alors que Katsuro revient de sa dernière pêche et que l’orage gronde, il se noie dans la Kusagawa. Pour le village entier, c’est la menace d’un déshonneur car comme le pêcheur ne peut plus livrer « au bureau des jardins et des étangs », le village aura failli et ne recevra plus de subsides de l’Empereur. Après la période de deuil, on décide donc que ce sera à Miyuki de s’acquitter de la mission qui revenait à son mari et d’emmener les capres au palais impérial.

Elle, qui n’a jamais quitté son village, part donc pour un long périple durant lequel elle conversera avec son défunt mari qu’elle aimait profondément. Ce qui lui permet de se remémorer les gestes qu’il lui a appris pour veiller sur les carpes. En plus de supporter une palanche avec deux nasses sur ses épaules frêles, elle va devoir affronter un monde inconnu où elle découvrira une nature humaine avec laquelle elle va devoir composer. Si les désillusions et le découragement frappent Miyuki confrontées à la violence des éléments, à l’âpreté du chemin et aux trahisons humaines, elle est également portée tout au long de son périple par l’amour qui l’a unie à Katsuro. Celui-ci lui revient en mémoire dans les gestes qu’il lui a appris pour veiller sur ses carpes, dans le souvenir de ses propres récits de voyage, des paysages qu’il lui a décrits, des auberges dont il lui a parlé, dans les réminiscences aussi du plaisir et de la complicité partagée. Arrivée à destination, elle sera, bien involontairement, au centre d’un évènement majeur.

Ce roman graphique de Julia Bourdet paru aux éditions Stock graphique est une adaptation de l’œuvre du président de l’Académie Goncourt , Didier Decoin parue en 2017 et vendue alors à plus de 100 000 exemplaires. Je dois avouer que je ne le connaissais pas mais que, d’emblée, j’ai été attirée par ce titre énigmatique quasiment oxymorique : « Le bureau des Jardins et des Étangs » qui associe l’activité humaine dans ce qu’elle a de plus artificiel ( la paperasserie !) et la nature. C’est un roman historique, mais aussi un roman d’amour sensuel, un roman d’aventures et aussi un roman spirituel où l’on rencontre les esprits des défunts ou ceux des eaux, capables d’avaler l’âme des humains… C’est également le roman initiatique de la jeune Miyuki, veuve trop tôt, et qui n’a jamais quitté son village que par les histoires que lui contait son défunt mari au retour de ses pérégrinations. C’est une ode aux cinq sens où l’on entend chaque bruissement de la forêt, où l’on sent la délicatesse des parfums ou la puanteur de l’eau saumâtre, où l’on goûte la pulpe d’un kaki trop mûr, où l’on ressent la douceur des soieries, où l’on peut entrevoir un esprit et voir la beauté d’une femme cachée sous des haillons.

Suivre l’histoire de Miyuki, c’est plonger non seulement dans les eaux fraiches de la rivière Kusagawa, ou celles moins limpides des étangs sacrés, mais également dans le monde étrange du Japon ancien. Un monde de valeurs, de croyances et de traditions si singulières que la lecture se transforme elle aussi en voyage extraordinaire alors l’adapter était un défi de taille  qui n’a pas semblé intimider la toute jeune autrice Julia Bourdet dont c’est la première bande dessinée.

Tout d’abord, elle prend son temps et nous offre un bel album de plus de 200 pages dans lequel les doubles pages et les pleines pages muettes sont, comme les pauses narratives dans le roman, des respirations invitant à la contemplation. Elle utilise également en voix off, les pensées de Miuyki et les narratifs extraits du roman. Les phrases sont amples, imagées, le vocabulaire à la fois précieux et choisi. Nous voici, telles les carpes dont il est question, hameçonnés par cette belle littérature poétique que l’on croirait sortie tout droit d’un conte japonais mais qui est le fruit d’un gros travail de documentation que l’on retrouve dans une notice bibliographique en fin de volume. Elle choisit de varier le découpage et l’utilisation du gaufrier en utilisant tantôt la gouttière et des cases classiques, tantôt des vignettes « crénelées » pour les flashbacks et les pensées de l’héroïne remplaçant ainsi de façon élégante le discours indirect libre privilégié par Didier Decoin.

Elle varie les styles aussi : le rêve est transcrit dans des pages noir et blanc très stylisées qui contrastent avec le reste de l’album réalisé en bichromie.

Julia Bourdet ajoute également sa propre grammaire en dotant chaque lieu d’une couleur spécifique. Couleurs qu’on retrouve dans l’art japonais. Ainsi, le village est dans les camaïeux de beige, la capitale et la cour impériale sont évoquées par le rouge, le parcours pédestre de Miyuki est en vert, ses arrêts dans les temples en orange, sa rencontre avec la mère maquerelle et son expérience de belle de nuit en bleu sombre et les dernières pages qui relient entre elles toutes ces expériences sont multicolores et reprennent le style et la palette des estampes brocard, les nishiki-e !

Un exemple de nishiki-e et de la technique reprise dans le Bureau des jardins et des étangs

Chaque couleur marque donc une étape et apporte en même temps que de la fluidité au récit une association des sens qui n’est pas la même que dans le roman ( dans lequel chaque lieu a une odeur ) mais est tout aussi efficace.

Pour retranscrire la beauté et l’ancienneté de ce Japon du XIIe siècle, elle s’inspire du théâtre No et surtout des ukiyo-e, ces images du monde flottant. Elle les connaît bien car elle a travaillé en tant que graphiste à la mise en place du site d’une galerie spécialisée en vente d’estampes japonaises : Uchida Gallery. Elle a pu tout à loisir en contempler de nombreuses tout en bénéficiant des conseils avisés de ses clients.

Elle réalise souvent des pleines pages comme la planche d’ouverture qui reprend un tableau célèbre d’Hiroshige tels les « 53 stations d’Hokkaido ». L’enfant Kintaro à la carpe qu’on trouve p.86 est une reprise d’une estampe de Yoshitoshi tandis que les belles de nuit et les dames de la cour semblent droit sorties des œuvres de Kitagawa Utamaro. A sa manière elle leur rend hommage en adoptant un trait cerné de noir et un style très épuré.

Exemple de correspondances :

Les estampes et le travail de Julia Bourdet

L’enfant Kintaro

Les belles d’Utamaro

La dessinatrice s’inspire aussi des films d’Oshima pour les scènes érotiques. On a ainsi l’impression de regarder « L’Empire des sens » lorsque l’héroïne se remémore ses étreintes ou bien quand on aperçoit une jeune femme captive en shibari (bondage japonais) dans la maison close.

C’est donc, vous l’aurez compris un très grand coup de cœur ! Ce livre est à déguster lentement et cérémonieusement…J’espère que cette première œuvre atypique et dépaysante rencontrera le succès qu’elle mérite et que Julia Bourdet nous enchantera bientôt à nouveau.

POUR ALLER PLUS LOIN

L’interview de Julia Bourdet

Cliquez sur la photo

Chronique d’Anne-Laure GHENO

(Bd Otaku)


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