MATTÉO 6ème époque


Mattéo
Sixième époque (2 septembre 1939 – 3 juin 1940)

Mattéo T.6
Scénario : Jean-Pierre Gibrat
Dessin : Jean-Pierre Gibrat
Éditeur : Futuropolis
64 pages
Prix : 17,00 €
Parution :  02 Novembre 2022
ISBN 9782754824736

Ce qu’en dit l’éditeur

Récit romanesque de haute tenue, composé de six époques, Mattéo raconte la destinée singulière d’un homme qui, de 1914 à 1940, de la guerre de 14 à la Seconde Guerre mondiale, en passant par la révolution russe, le Front Populaire et la guerre d’Espagne, traverse époques tumultueuses et passions exacerbées.

UN GRAND « FINALE »

Avec la sortie du dernier tome de la saga « Mattéo », aux éditions Futuropolis, Jean-Pierre Gibrat célèbre d’une bien jolie manière ses cinquante ans de carrière et fait ses adieux au héros que nous avons suivi pendant près de quinze ans dans ses déboires sentimentaux et ses pérégrinations tandis qu’il prenait part aux conflits majeurs de la première moitié du XXe siècle.

Alors paradoxalement, au moment où l’Histoire est plus que jamais en train de s’écrire, Gibrat choisit de privilégier l’histoire. Le récit se recentre et se resserre sur Mattéo qui n’a plus rien à perdre : il est en cavale. Lui qui est parti se battre en Espagne et en Russie voit la dictature de Franco reconnue par la France et Molotov signer un pacte de non-agression avec Ribbentrop … de quoi devenir misanthrope à la Céline … Mais Mattéo a mûri depuis le début de la série, il apprend que Louis, lieutenant de l’armée française en déroute, est prisonnier des Allemands dans un monastère près de Sedan. A ce moment là donc, la seule chose qui compte pour le protagoniste va être de retrouver (dans tous les sens du terme) son fils afin de ne pas tout rater dans sa vie d’autant plus qu’il garde en mémoire ce que lui a fait comprendre son grand-père à Figueras quand il lui a avoué à demi mots que le plus grand désastre de sa vie avait été de perdre son enfant. Il décide alors de partir libérer ce fils qui ignore qu’il est son père….

Ce dernier tome est donc l’heure du bilan, des retrouvailles et des adieux…

LE CHOIX DE L’INTIME : AU NOM DU FILS

Comme des acteurs de théâtre qui viennent pour le salut final, on retrouve en effet tous les personnages (sauf les disparus) qu’on avait appris à aimer avec Matteo : sa mère d’abord, touchante dans sa pudeur austère ; Paulin l’ami d’enfance qui se débarrasse de ses oripeaux d’éternel optimiste et montre ses côtés sombres en nous émouvant par sa tragique résignation et son attachement excessif et presque suicidaire à la dive bouteille ; Juliette toujours aussi belle mais égoïste ; Amélie « la femme d’à côté de sa vie » présente enfin grâce à ses lettres malgré son départ pour l’Angleterre. Ces personnages fonctionnent un peu comme ceux de Sautet, cinéaste cher à l’auteur. Tout sauf manichéens, ils nous émeuvent et nous agacent à la fois par leur côté imparfait et cela renforce la justesse de leur caractérisation.

Et il est une silhouette qui acquiert un rôle de premier plan dans ce final : Le personnage de Louis. Ce « sale con » évolue par rapport aux autres tomes. Alors qu’il a été imprégné d’une idéologie assez nauséabonde, le voilà qui s’en détache comme le montrent ses lettres à sa mère. Gibrat s’est inspiré pour le créer du parcours et des Mémoires de Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin « Alias Caracalla ». Il semble préparer « la suite » de « Mattéo » en créant un personnage solaire et valeureux qu’on se plaît à imaginer rencontrer Cécile, Jeanne, François et les autres dans la suite annoncée du « Vol du corbeau » et pourquoi pas retrouver Camille, la lumineuse jeune fille aperçue dans ce tome ?

L’ILLUSTRATEUR DU POSITIF

Paradoxalement en effet, ce dernier tome qui se déroule sur fond du désastre annoncé de la Débâcle, s’il contient ses pages sombres, fonctionne plus sur le clair que sur l’obscur cette fois. Malgré la débandade militaire et les compromis politiques, on y perçoit la force de l’entraide, de l’amitié et des relations filiales. Même les policiers et les curés – avec lesquels l’auteur n’est pas tendre habituellement – semblent être touchés par la grâce !

Et puis bien sûr, le dessin sublime tout cela, particulièrement avec son utilisation des encres acryliques dont la technique s’apparente aux superpositions de glacis qu’on emploie dans la peinture à l’huile et qui sont formidables pour travailler, la profondeur et les clairs-obscurs en « sculptant » les effets lumineux.

Il a dû , pour ce tome, faire face à un défi inattendu en devant trouver la façon de rendre les couleurs et le mouvement de la mer et trouver les systèmes qui rendent bien les reflets du ciel sur l’eau dans les dernières pages .

Jean-Pierre Gibrat décrète qu’il est venu à la bande dessinée par amour pour le dessin et cet amour transpire dans toutes les pages. Son trait n’est pas toujours réaliste, surtout dans ses portraits féminins (ah comme elles sont belles les femmes de quarante ans sous son pinceau ! ), mais qu’importe. C’est un dessin qui fait du bien sans être nullement lénifiant. On peut désormais le ranger au panthéon des illustrateurs qu’il qualifie lui-même d’« illustrateurs du positif » : Larsson, Rackham, Dulac ou André Juillard.

LA PETITE MUSIQUE DE GIBRAT

On ne saurait terminer sans évoquer l’écriture gibratienne toute aussi reconnaissable que son style graphique et qui donne autant de relief à l’histoire que le dessin… D’ailleurs la plateforme Blynd ne s’y est pas trompée qui adapte désormais la série en podcast. Les mots et les formules, la petite musique mélancolique de l’auteur et la partition en contrepoint qu’il joue avec maestria. Il alterne en effet récitatifs romanesques désabusés via la voix off de Mattéo aux accents céliniens parfois dans ses aphorismes saisissants, et dialogues ciselés drôles et trépidants « à la Audiard ». Ce contrepoint contribue indubitablement au charme de la série et empêche qu’on lui « fausse compagnie » comme Mattéo lecteur le fait avec Drieu de La Rochelle. Le lecteur remarquera d’ailleurs que le sens de la répartie et de la formule se transmet également de père en fils dans ce dernier tome lui conférant une double dose de fantaisie et d’ironie qui nous délecte !

« À SUIVRE » …

Bref « Mattéo » en son entier est un sans faute. Si nous aimons certaines séries pour leurs prouesses graphiques, l’intelligence de leur scénario, leur sens du dialogue drôle ou percutant, ou la subtile caractérisation de leurs personnages, rares sont celles qui allient tous ces aspects. « Mattéo » fait assurément partie de ces « happy few ». S’agit-il du grand œuvre de Gibrat ? Peut-être par sa longueur (six tomes) et sa qualité tant graphique que narrative …Mais pas si sûr… l’auteur n’a pas dit son dernier mot ! Rendez-vous est déjà pris pour la suite du « Vol du Corbeau » … sous d’autres cieux et d’autres lumières ! Encore du bonheur en perspective …

POUR ALLER PLUS LOIN

Chronique du tome 5

Interview

Chronique d’Anne-Laure GHENO

(Bd Otaku)


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