Interview Jean-Pierre Gibrat


INTERVIEW DE JEAN-PIERRE GIBRAT

En cette fin d’année 2022, nombre de grands auteurs sortent des ouvrages à teneur autobiographique comme votre ami Baru et le troisième volet de son « grand œuvre » « Bella ciao » ou encore Emmanuel Lepage qui se repenche pour la première fois sur son enfance avec « Cache-cache-bâton ». Vous terminez vous-même la saga « Mattéo ». Peut-on la ranger dans cette catégorie de récits à teneur autobiographique ?

Non je ne dirai pas cela, ça part de préoccupations très personnelles, les acteurs de cette série là ont des points communs « prémédités » avec moi mais d’abord ce n’est pas mon histoire et ce n’est pas vraiment moi le personnage de Mattéo même si évidemment ses sentiments sont proches de ce que j’aurais pu ressentir dans les mêmes circonstances. Mais on peut tout de même dire que c’est autobiographique dans la mesure où j’ai cette obsession de raconter des choses qui ont fait partie de ma famille et des préoccupations premières des gens que j’ai aimés. C’est rendre hommage à ça, en particulier à mes grands-parents tout en restant très romanesque puisqu’il n’y a rien que j’ai piqué à la vie de mon grand-père ni à la mienne.

Et pourquoi en avoir fait un fils d’anarchiste espagnol de surcroît ?

Je viens d’une famille où on était plutôt communiste et pas du tout anarchiste et il y a un déficit marqué d’espérance chez les communistes qu’il y a beaucoup moins chez les anarchistes. Ces derniers n’ont pas les mains sales comme peuvent les avoir non pas les militants de base mais les responsables communistes. L’anarchie est un système qui n’a pas été démenti par des horreurs observées. Ça peut être utopique, on peut le trouver ridicule, mais on ne peut pas le trouver insupportable et odieux. Ce n’est pas dans leur ADN ni leur fonctionnement de dire « on est sûrs d’avoir raison et on va se permettre de broyer des millions de gens à ce titre ». Donc c’était pour rendre sympathique le héros ! L’anarchisme est tout de même tellement plus tourné vers un individualisme qui prend en considération les autres et la liberté (la sienne mais aussi celle des autres) que je ne trouve pas chez les autres.

Et espagnol ?

Parce que c’était là qu’était vraiment le berceau des anarchistes et le père de Matteo se retrouve à fuir en France parce que les anarchistes ont tout de même essayé d’assassiner le roi d’Espagne (ce qui par rapport à ce que j’ai dit plus tôt est tout de même à la limite du supportable !)

De plus comme il est espagnol de nationalité, cela me permettait d’évoquer l’immigration – des années trente certes, mais l’immigration tout de même. Car même s’il est admis dans son village de Collioure, c’était quand même l’Espagnol et au moment où toute la jeunesse française se trouve aller à la boucherie de 14, lui, pour bien montrer qu’il a été élevé en France et qu’il est concerné par le sujet, il s’engage aussi à 17 ans car son statut d’immigré qu’on lui bien fait sentir lui pèse. (on le regarde comme celui qui mange le pain des Français et ne participe pas à défendre la patrie puisqu’il a le statut de réfugié qu’on assimile à celui de planqué !) En plus sa petite copine est fascinée par le fils du châtelain qui possède la demeure où sa mère est domestique. De Brignac est de plus, lui, dans la prestigieuse aviation débutante et donc Matteo comprend que, s’il veut reconquérir Juliette, ça passe d’abord par l’Alsace et la Lorraine !

Et puis dès le départ je savais que je voulais traiter de la guerre d’Espagne donc faire de Matteo un Espagnol qui part, par fidélité à ses racines, défendre la liberté en quelque sorte c’était aussi un axe narratif.

Cette série très dense commence le 31 juillet 1914 à Collioure dans le sud de la France. On va suivre donc pendant 26 ans Matteo confronté à la Grande Guerre, à la Révolution bolchévique à la Guerre civile espagnole et enfin au début de la 2nde guerre mondiale dans ce dernier tome qui s’achève le 4 juin 1940 : pourquoi avez-vous choisi de traiter cette période en particulier Jean-Pierre Gibrat ? Est-ce en quelque sorte comme le prologue du livre sur les utopies qui vous vouliez réaliser avec l’historienne Isabelle Davion [voir l’ITW au moment de la sortie du tome 5 pour « Les sentiers de l’imaginaire » NDLR] ?

La première planche de la série

Oui avec Isabelle c’était presque un prolongement parce que l’idée de départ était de se demander « où sont passées les utopies » ? Je trouvais que c’était un angle intéressant car ces utopies quelle que soit la direction qu’elles prenaient (extrême droite, extrême gauche etc …) ont tout de même mobilisé la moitié de l’Europe et pas seulement de l’Europe d’ailleurs et aujourd’hui il n’y a pas d’idée de construction d’un monde différent…

Quant à la période, ça s’est imposé quasiment à moi parce que je j’aime beaucoup l’Histoire depuis le lycée. Et cette période là elle est fascinante parce que dans un laps de temps très court, très resserré, il y a les plus grands espoirs et les plus grands drames quoi ! Si on prend entre la Guerre de 14 et je dirais même 38 – parce qu’en 38 on sait déjà qu’on y va tout droit- il y a 20 ans quoi ! 18-38 ça fait 20 ans et il y a des gens qui ont fait deux fois la guerre mondiale enfin qui ont été mobilisés deux fois et pour moi c’est d’autant plus dingue parce qu’au même moment il y a eu des espoirs fabuleux…

J’ai retenu une phrase magnifique sur le Front Populaire dans un très beau reportage qui avait été fait où le type disait « c’est la période où les gens ont cru qu’ils allaient s’aimer ». C’est une formule merveilleuse ! Parce que ça ratisse largement au-delà de la nationalisation des moyens de production. Ça montre une autre conception d’une société : plus fraternelle, plus conviviale. Tout ce qu’on voit sur 36 transpire ça : les gens joyeux, les premiers congés payés, les gens qui rigolent dans un pique-nique comme je le montre dans la troisième époque de « Mattéo » et trois ans après c’est le début du 2e conflit mondial ! Des espoirs vertigineux et des désespoirs abyssaux sont tellement rapprochés que cela en devient très romanesque et je voulais vraiment travailler là-dessus !

On parlait du Front populaire d’ailleurs, mais il y a aussi avant la Révolution russe qui a représenté pour tous les gens qui attendaient, pour tous les socialistes du monde entier qui se disaient qu’un jour on allait faire une expérience appliquée quoi mais se demandaient si on aurait l’occasion de vérifier que leur utopie est applicable et est encourageante et en fait très très vite on s’est aperçu quand même – en tout cas pour les gens qui ont été témoins de ce qui s’y passait là-bas – que c’était pas du tout ce qui était espéré ! Et cependant pendant une longue période il y a eu des réflexions comme « on fait pas d’omelettes sans casser des œufs », « il faut laisser le temps » et c’est le seul endroit où on a fait une expérience de ce genre donc il y avait une espèce d’indulgence à moitié avec une cécité un peu marquée pour ne pas voir les choses inacceptables quoi ! Et donc pour moi, parler de ces espoirs, c’était aussi rendre hommage à mes grands-parents par exemple qui ont été des militants syndicaux communistes mais bon rien à voir avec ce que le communisme nous a montré ! Eux on leur aura vendu de l’espoir à crédit en fait ; ils ont vraiment cru jusqu’à la fin pour mon grand-père par exemple que tout ce qu’on racontait sur Staline c’était faux …

Et puis choisir ces « époques » comme le rappellent les sous-titres adoptés dans la tomaison ça permettait de montrer aussi ces utopies à l’épreuve de la violence des conflits, non ?

Oui c’est vrai ce personnage de Mattéo lui on le découvre en 14 élevé par des anarchistes en tout cas par sa mère surtout car son père était un anarchiste militant qui disparaît avant le début proprement dit de la narration . Mattéo est donc élevé dans le pacifisme et ,en fait, il prend part à tous les conflits de la première moitié du XXe siècle alors qu’il n’y est pas obligé : ni pour la guerre de 14, ni encore moins pour la Révolution russe ou pour la guerre d’Espagne et pour lui c’est plutôt les lendemains qui déchantent…

Aviez-vous toute la série en tête quand vous avez commencé ?

Non pas du tout ! Le premier tome plaçait les enjeux, c’était la situation de départ : Mattéo partait à la guerre pour des raisons à la fois patriotiques mais surtout pour reconquérir Juliette. Après je me suis laissé porté comme dans la vraie vie, où l’on n‘imagine pas toujours, quand on prend une décision, les conséquences qu’elle pourrait avoir. J’ai forgé progressivement le caractère de Mattéo. Je lui ai balancé des événements dans les pattes et je l’ai fait réagir. J’ai développé des axes que je n’avais même pas envisagés. Sa destinée s’est imposée à moi. Attention : ce n’est pas de l’improvisation pour autant. Il devait partir combattre en Espagne, ça, je l’avais prévu. Mais le fait qu’il croise son grand-père m’est venu par construction romanesque. Il savait que son père parlait de ce village espagnol, lorsqu’il entend ce nom comme site à défendre, ce n’est pas invraisemblable qu’il le choisisse. Et ce n’est qu’après les retrouvailles inattendues avec ce grand-père dont il ignorait tout que j’ai pris conscience de l’importance que la relation père fils allait prendre. Ce grand-père avait perdu un fils. Il a fait comprendre à Mattéo qu’il ne devait surtout pas commettre la même bêtise dans la vie. Et c’est là que l’affect et l’amitié vont prendre le pas sur la guerre et tout le reste, sans que je m’en rende compte…

La seule chose qui était prévue, comme je vous l’avais dit lors de la sortie du tome 5, c’est le tout dernier échange et la toute dernière phrase du tome 6. Je savais que je voulais terminer ainsi, avec les mots qui sont écrits.

Sinon ce n’est pas trop difficile pour vous de vous dire que la série c’est fini parce que visiblement pour les lecteurs, ça l’est !

La réponse la plus honnête c’est celle-là : je ne réalise pas encore. Je viens d’arrêter, c’est trop tôt pour le dire. Je pense que je pourrais répondre précisément à cette question dans 3 mois, 4 mois parce qu’il n’y a pas si longtemps que j’ai arrêté. Après, il y a toujours la suite avec la promotion, les interviews, les dédicaces etc…donc, non je ne sais pas encore mais c’est bien possible oui ! Il y a toujours un moment un peu de flottement ; ça m’était arrivé pour « Le Sursis » ça m’est arrivé pour « Le vol du corbeau » aussi donc je pense que je ne vais pas y couper ! Bon, je peux toujours aller le chercher quand je veux mon Mattéo mais pour l’instant je vais le laisser aller en Angleterre, être tranquille et on va vivre chacun de son côté ! On m’a fait remarquer qu’il n’y avait pas le mot fin écrit sur la dernière case mais je souhaite l’ajouter pour que l‘on comprenne bien que c’est le dernier épisode !

Ce dernier tome ou « épisode » comme vous dites est paradoxalement assez joyeux alors qu’il se déroule en pleine débâcle, exode et calamiteuse opération « Dynamo » ; vous en avez fini avec le « pessimisme sifflotant » qui était le vôtre ?

Cette formule là, tout bien réfléchi, elle correspond bien à Mattéo et je pensais qu’elle me correspondait bien aussi mais en fin de compte je ne suis pas un pessimiste sifflotant, je suis un inquiet sifflotant ! Et les pessimistes ils ont tout de même le droit à ce qu’il leur arrive des choses positives, ce n’est pas parce qu’ils cotisent à la caisse des pessimistes qu’ils ne peuvent pas être gâtés de temps en temps !

Et il y a aussi votre dessin qui est plutôt doux et lumineux …

Oui en fait moi je suis arrivé à la bande dessinée vraiment par amour du dessin donc mes références c’étaient des illustrateurs qui avaient tendance à être dans le positif, qui faisaient des dessins qui faisaient plaisir. Il y a des dessinateurs qui ont des dessins très expressifs mais qui peuvent aller jusqu’à vous mettre mal à l’aise je pense à par exemple à Egon Schiele qui a une puissance d’expression totale mais par contre on est un peu secoué ! Moi j’ai toujours été fasciné par les illustrateurs comme Carl Larsson (bon lui c’était un peintre) mais disons comme Edmond Dulac, Arthur Rackham ou par le dessin d’André Juillard, l’auteur des « 7 vies de l’Epervier », une BD qui donne envie de vivre sous Louis XIII, alors que cette époque devait être une horreur !

Je les qualifierais d’illustrateurs du positif quoi : qui créent des images, qui donnent envie aux gens de cheminer avec les personnages y compris dans des circonstances un peu dramatiques. Un jour, un collectionneur m’avait dit en voyant un très grand dessin que j’avais réalisé sur la Débâcle pour une exposition chez Maghen « c’est malheureux on a envie d’y être » je vois ce qu’il veut dire parce que je m’attache à ça mais je m’attache à ça pour me faire plaisir à moi-même en premier ! J’ai besoin de dessiner des choses positives, des cases dans lesquelles on aime à se blottir, dont le dessin nous ramène à l’essentiel de la vie. Mon penchant graphique pour le dessin douillet constitue mon ADN de dessinateur !

Vous nous avez parlé de vos influences picturales mais sur la plage de Dunkerque – sans vouloir trop en dire- on pense beaucoup tout de même à « Week-end à Zuydcoote ». Quelles ont été vos influences cinématographiques pour « Mattéo » ?

Eh bien vous venez de le dire : ça ! Il y a bien sûr toutes les photos que j’ai pu trouver sur la débâcle de l’opération Dynamo mais le film de Verneuil est ma plus grande inspiration. Je m’en suis servi pour certains plans, en particulier quand il y a les barques. Pour moi c’est un film sublime. C’était la grande époque de Verneuil. Je ne sais même pas si ce n’est pas dans la même année mais quasi en même temps il fait « Week-end à Zuydcoote » et « Un singe en hiver » qui sont deux chefs d’œuvre absolus du cinéma français. Le jeu d’acteurs y est merveilleux avec Marielle, Périer, Georges Géret …Belmondo, évidemment mais les autres aussi sont formidables !

Lorsque vous aviez entamé la série, vous aviez dit que vous vouliez aller de 14-18 jusqu’à Hitler. Donc on aurait pu s’attendre à ce que Mattéo aille jusqu’au nid d’aigle etc… or, là vous vous arrêtez en 40. Pourquoi ce choix ?

J’ai choisi de m’arrêter là parce que j’avais déjà fait deux diptyques qui se déroulaient sous l’Occupation et j’avais un peu envie de changer. Et puis j’ai arrêté là aussi parce que quand j’ai commencé « Mattéo », j’étais parti sur l’idée d’en faire 3 ou 4, voyez …. donc au final ça fait pratiquement le double de ce qui était prévu et je trouvais que c’était pas mal de savoir clore ! J’avais aussi l’envie de faire la suite du « Vol du Corbeau » qui se passera en Indochine alors il a fallu choisir ! De plus on imagine de toute façon la suite assez facilement et je ne sais pas si ça valait le coup que je la raconte. On sait très bien que Louis, s’il revient en France va faire de la Résistance et Mattéo aussi. On sait de quel côté ils sont ! Je me suis donc dit que ce n’était pas si bête d’arrêter à ce moment là …

Quelles ont été les pages les plus intéressantes à dessiner de ce dernier tome ?

Les plus intéressantes pour moi ce sont celles où il y a des scènes d’émotion entre les personnages. C’est celles là que je préfère dessiner. C’est là où je me sens peut-être le plus pertinent.

Et ce qui a été le plus nouveau pour moi dans ce tome final, ça a été les pages de la fin sur la mer car je n’ai pas tellement pratiqué ça !

Quoi ? les bateaux ?

Les bateaux, mais surtout la mer !

Pourtant vous étiez à bonne école puisque vous vous appréciez particulièrement le peintre Sorolla ?

Oui ! Ben pour tout dire je lui ai fait un peu les poches à Sorolla ! j’ai regardé effectivement comment il s’y prenait et comment il se débrouillait avec ça. Mais moi ce n’était pas trop les bords de mer, lui il peint souvent les plages alors que moi il fallait que je me débrouille avec la haute mer. C’est pas tout à fait le même truc les bateaux en pleine mer et on ne peut pas aisément passer de l’un à l’autre l’autre, malheureusement.

Qu’est-ce qui était difficile du coup c’était de trouver la couleur de la mer, c’était le mouvement ?

Oui, l’interprétation. Il faut pratiquer pour trouver les marques, pour trouver les repères, pour trouver les systèmes qui rendent bien les reflets du ciel sur l’eau puisque c’est tout le temps ça : la mer accroche le ciel donc il y a du bleu et puis il y a aussi tout le vert voire le marron de la profondeur de l’eau et du coup ce système là faut bien comprendre déjà et puis arriver à le traduire donc c’est compliqué ; ça ne s’improvise pas. On ne se dit pas tout d’un tout d’un coup je vais faire ça et je sais le faire . C’est comme dessiner la nature, dessiner les arbres, il faut pratiquer un peu pour se retrouver en terrain conquis ou au moins connu !

et vous avez fait quoi : vous êtes parti en haute mer du coup ?

Mais non ! Internet c’est formidable parce que quand on commence à taper « vague de pleine mer » hop on a je ne sais pas combien de photos ! La doc on arrive à la trouver pour ça !

Est-ce que cela a eu un impact sur votre technique ?

Non non c’est pareil. On sait très bien que ça ne vient pas du crayon, on peut avec n’importe quel crayon traduire tout ce qu’on veut quoi ça ne donnera pas la même chose par rapport à l’outil qu’on a utilisé mais par contre c’est à la compréhension de de ce qu’on dessine qui fait tout

Alors vous avez procédé comment ? par couches successives pour l’interprétation de la mer et plus largement également parce qu’il y a aussi beaucoup de clair-obscur dans ce dernier tome ?

C’est l’utilisation de de ces encres acryliques qui permettent justement ce système là de transparence à l’infini c’est à dire que une fois qu’une couche est sèche on peut retravailler dessus et et quand la 2e est sèche on peut en faire à l’infini. On peut superposer des jus qui chromatiquement se mélangent mais justement dans la matière ne se mélangent pas. Ce qui donne effectivement le fait de pouvoir plonger une pièce dans la pénombre, de faire des clair-obscur, de foncer sans que cela bouche.

Et les pages qui vous ont donné le plus de plaisir alors c’était lesquelles dans ce baroud d’honneur qu’est le dernier tome ?

Je ne saurais pas trop dire parce que ça joue sur un registre qui est différent en fonction du sujet … mais on va dire celles dans lesquelles je dessine des personnages féminins qui sont à peu près réussis !

La petite Camille ?

Bah la petite Camille c’était pas mal ! Effectivement il faudrait que j’ai l’occasion de la redessiner parce que là je commence juste à trouver mes repères.

Ce sera peut-être dans la suite du « Vol du corbeau » ? Vous pourriez faire un crossover avec cette série et « Mattéo » parce que Camille et Louis sont de la génération de de François et Jeanne !

Oui, oui il y a des possibilités, c’est sûr !

et vous avez bien aimé dessiner l’Angleterre ?

J’ai dessiné 3 vues de Londres et puis les falaises de Douvres donc je ne peux pas estimer que j’ai dessiné l’Angleterre, j’ai plutôt dessiné une carte postale de l’Angleterre ! Mais c’était un peu obligé à partir du moment où il faut qu’on comprenne vraiment du premier coup d’œil qu’on est à Londres … Si j’avais eu dix pages sur l’Angleterre, j’aurais pas dessiné ces rues là, j’aurais dessiné des trucs plus subtils.

Vous avez toujours dit que vous aimeriez être reconnu pour votre écriture pour faire un peu un pied de nez à vos profs de français d’autrefois entre autres. Or, la série vient d’être adaptée par Blynd qui est, je le rappelle, une plateforme qui propose des bandes dessinées sous format audio c’est à dire qu’on n’a plus le support du dessin.

Je connais le projet, je sais qu’on avait Claude ; on avait travaillé sur le premier et peut-être le deuxième. Enfin surtout Claude d’ailleurs qui s’est chargé de regarder comment c’était fait et de proposer des trucs après bon mais par contre je ne connais pas le casting !

C’est la voix française de Woody Harrelson de mémoire qui fait Mattéo et on l’entend dans le trailer qui est disponible sur Youtube. On peut dire que là c’est vraiment votre style d’écriture qui est mis en avant et alors quel effet ça vous fait ?

Oui mais bon, c’est le mec qui n’en a jamais assez ! C’est un récit qui s’avère ainsi assez intéressant effectivement pour être traduit à la radio mais ce n’est pas pour autant une preuve d’écriture remarquable ! Mais je retiens que ça veut dire quand même que l’histoire a un intérêt et qu’effectivement ça sonne à peu près juste parce que sinon on ne le ferait pas …

J‘ai lu dans certaines de vos interviews que vous n’étiez plus trop amateur de Louis-Ferdinand Céline qui était quand même l’un de vos maîtres en style ?

Enfin, j’étais un peu écœuré parce qu’en fait au moment où je finissais « Mattéo » justement dans les dernières heures qui me tenaient à ma table de dessin pendant sept huit heures tous les jours j’ai trouvé une version audio sur le net lue par Denis Podalydès … C’était formidable d’ailleurs ! Du coup, j’ai écouté « Voyage au bout de la nuit » en continu  pendant 15 ou 16h. J’ai écouté les 15-16h en 3 jours 5h par jour … Ça fait beaucoup et j’ai eu ce sentiment désagréable de trouver que quand même en permanence il y a une suspicion boueuse chez tout le monde. L’Humain serait définitivement fabriqué comme ça avec un côté totalement négatif et même pervers dont il serait en plus, lui Céline, la victime et ça m’a vraiment agacé même si ça ne change rien à la qualité du récit. Le style est absolument merveilleux. Au départ je pensais qu’il était devenu progressivement aigri mais tout est déjà là dans Le Voyage : l’impression que l’homme est détestable, roublard avec tous les défauts possibles ! A part deux personnages décrits de façon positive de A à Z tous les autres sont atroces et ça, ça m’a vraiment fatigué !

D’ailleurs on ne peut pas dire que Mattéo lui soit misanthrope malgré tout ce qui lui est arrivé (il se met même à apprécier gendarmes et curés) donc vous évitez l’écueil célinien !

On pouvait le comparer au début parce que Mattéo se laisser porter par les événements comme Bardamu au départ c’est vrai mais n’empêche que la mécanique n’est pas la même ! Il ne voit pas la même chose chez les gens Mattéo du tout ! Ça, ça me déplaît chez Céline ; quand on sait jusqu’où il est allé dans la dans la vacherie et dans la saloperie finalement ce n’est pas étonnant ! Dès son premier roman est déjà installée sa façon de ressentir le monde qui promet de très vilaines choses finalement et c’est ça qui le construit, c’est pas les événements qui l’ont poussé à devenir une victime injustement traitée quoi voilà pas du tout ! Il se voit comme ça, il voit les autres contre lui en permanence. Il est parano Céline, vraiment ! Et ça m’a fatigué au point que je crois que je ne vais pas en relire pendant un très long moment …. ouais

En revanche, vous rendez hommage encore une fois à un autre romancier Guy de Maupassant dans ce dernier tome

Oui et cela n’a rien à voir ! Maupassant pour moi c’est une espèce de lucidité sur l’humain avec tous ses petits caractères mesquins et cetera mais pas que ! Il y a des personnages généreux. Son style est plus classique mais me séduit vachement ! Mais qui n’est pas séduit par Maupassant ? Ceux qui ne l’ont pas lu, en fait…

Ça rappelait également la première rencontre avec Amélie je suppose puisqu’elle lui faisait découvrir « Une vie » à l’hôpital en 17 … Mais il y a tout de même une parenté entre cet auteur et vous car des personnages qu’on trouve dans « Mattéo », en particulier les seconds couteaux si bien campés pourraient se retrouver chez Maupassant et vice versa.

Oui bien sûr pour Amélie. Pour le reste, je ne sais pas, je suis cultivé juste par endroits comme mon héros ! Je ne suis pas un spécialiste de Maupassant ni d’aucun auteur d’ailleurs mais lui ne m’a jamais déçu a priori ! A chaque fois que je tombais sur un texte de lui je trouvais ça formidable et effectivement je trouve qu’il croque vraiment bien tous ses personnages !

L’hommage à Maupassant du tome 1 au tome 6

Vous qui aimez les formules, y a-t-il quelques phrases ou quelques aphorismes dont vous êtes particulièrement fier dans ce dernier tome ?

Oh mais ce serait prétentieux ! Je peux dire seulement « le petit couloir de Dantzig » quand Paulin dit à Mattéo « finalement c’est ton petit couloir de Dantzig ; Hitler réclamait l’accès à la mer et toi l’accès au père » … parce que c’est une vanne quoi ! Il n’ y a pas de prétention là-dedans voilà ; c’est comme à la fin d’un repas, vous avez une idée marrante qui se présente à vous et vous ne la laissez pas passer, donc c’est dans cet ordre là ; ça ne vole pas très haut non plus mais je trouve cela marrant ! Ce n’est pas ce dont je suis le plus fier mais c’est marrant quand même !

Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur vos nouveaux projets ?

Je vais reprendre « Le Vol du corbeau ». J’ai déjà un peu l’histoire ; le début et la fin sont déjà écrits. Ça se passera en Indochine. Avec des engagés, des résistants, très souvent de gauche qui vont se retrouver à se battre contre des communistes. Voilà ce que je peux dire. Je ne sais pas encore en combien de tomes, peut-être deux, peut-être un tome et demi … un gros one shot quoi ! Ce sera en fonction de ce que je vais raconter… Je sais qu’il y aura un minimum de pages à y consacrer et je sais aussi qu’il faut ajouter 25% à la première estimation tout le temps ! Donc à partir de là je pourrais le dire mais là pour l’instant je ne sais pas trop !

Vous avez déjà bien entamé votre tournée de dédicaces. Vous avez travaillé sur « Mattéo » pendant une quinzaine d’années je crois avec une moyenne de trois ans entre chaque tome et des lecteurs qui vous ont attendu, ce qui est quand même un gros privilège dans ce monde de consommation effrénée et rapide…

C’est d’ailleurs l’occasion de les remercier car effectivement faut être patient pour attendre la suite de l’histoire pendant trois ans, c’est vrai !

Mais ça veut dire que vous avez quand même une base extrêmement solide et fidèle de lecteurs et vous avez des anecdotes sur cette tournée de dédicaces ?

Il y a des moments vraiment très touchants. On n’imagine pas représenter autant de choses pour les gens … Il y a une espèce de résultante où souvent les gens me disent merci de raconter ce genre de choses comme s’il ne restait plus grand monde pour témoigner de ça. Et finalement ça ça me plaît bien parce que l’idée de base c’est de rendre hommage à tous ces gens qui se sont battus, qui ont cru à des choses et qui ont été largement floués. Sinon après pour certaines personnes, peut-être qu’entre le dessin et la façon d’écrire ça représente quelque chose qui les touche profondément. Voilà de telles déclarations ce sont de sacrés cadeaux…

Le choix de l’Indochine c’est pour continuer justement à parler des floués de l’histoire ?

Oui, là il va y avoir moyen parce que on appelle ça « la guerre oubliée » ça mais en même temps les gens qui l’ont vécue ne risquent pas de l’oublier eux ! Mais c’est moins ça que parce que c’est la suite logique du personnage de François. Je pense que c’est très bien qu’il se retrouve là-bas, c’est tout de suite assez logique et puis il y a les décors et il y a l’ambiance. Ça va me sortir de l’Hexagone c’est pas mal de dessiner les lumières de l’Extrême orient, ça a beaucoup de charme …

Et ce sera à quel horizon ?

Aucune idée, au moins trois ans je pense !

Tirage limité spécial Bulle

Interview d’Anne-Laure GHENO

(Bd Otaku)

POUR ALLER PLUS LOIN

Les deux diptyques de Jean-Pierre Gibrat se déroulant sous l’Occupation

Mattéo en version audio

Comment dessiner Mattéo?

Chronique des albums

Tome 5

Tome 6

Interview sur Les sentiers de l’imaginaire parue au moment de la sortie du tome 5 qui revient sur la carrière entière de Gibrat et aborde ses projets d’alors (dont le livre sur les utopies et le tome 6 de Mattéo) .

:::Les Sentiers de l’Imaginaire::: (sdimag.fr)

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