SEULES À BERLIN


Seules à Berlin

Seules à Berlin
Scénario : Nicolas Juncker
Dessin : Nicolas Juncker
Éditeur : Casterman
200 pages
Prix : 25,00
Parution :  11 mars 2020
ISBN 9782203168527

Ce qu’en dit l’éditeur

Berlin, avril 1945. Ingrid est Allemande et sort de plusieurs années d’enfer sous le régime nazi. Evgeniya est Russe et vient d’arriver à Berlin avec l’armée soviétique pour authentifier les restes d’Hitler.

La première est épuisée, apeurée par les barbares qu’elle voit débarquer chez elle, tandis que la seconde, débordante de vie et de sollicitude, est intriguée par cette femme avec qui elle doit cohabiter.

Mais chacune tient un journal intime, ce qui permet au lecteur de suivre peu à peu la naissance d’une amitié en apparence impossible…

« Aujourd’hui, c’est l’anniversaire du Führer. Malheureusement, l’ambiance n’est pas à la fête »

Martin Borman, journal du 20 avril 1945

Doux euphémisme que cette épigraphe de Seules à Berlin, album de Nicolas Juncker paru chez Casterman .

Non, l’ambiance n’est pas à la fête dans ce Berlin en ruines où la population affamée, terrorisée se terre dans les caves en attendant l’arrivée de l’Armée rouge.

Dans ce chaos, deux femmes, Ingrid, 28 ans, Allemande russophone oeuvrant à la Croix-Rouge et Evgeniya, 19 ans, interprète russe du NKVD vont se rencontrer, cohabiter, partageant la même chambre, le même lit faute de pouvoir faire autrement.

Qu’ont-elles en commun ? Toutes deux tiennent un journal, y notent tout, même l’indicible, Question de survie pour Ingrid, de nécessité de comprendre pour Evgeniya. C’est à la lecture de ces journaux qu’elles vont s’affronter pour peu à peu se rapprocher, essayer de comprendre, s’entraider, avancer.

C’est un récit sans concession magistralement mis en images et entrecoupé de bribes de leurs journaux respectifs, construit à partir des témoignages d’Elena Rjevskaïa (Carnets de l’Interprète de guerre) et d’une anonyme allemande (Une femme à Berlin).
La rencontre des 2 femmes, elle, est pure fiction.

Nous suivons tout d’abord Ingrid dans le chapitre 1 jusqu’à l’arrivée des Russes, puis Evgeniya chargée de retrouver et identifier le cadavre d’Hitler à Berlin dans le chapitre 2 pour enfin les retrouver toutes deux dans le chapitre 3.

Chacune va lire le journal de l’autre. Ingrid la première s’indignera de ce qu’elle va y découvrir, se murant tout d’abord dans le déni.

Puis ce sera au tour d’’Evgeniya de lire celui d’Ingrid, Et là, sur 4 pages, pudiquement, nul dessin, uniquement les mots, l’extrait débutant au moment où les soldats russes pénètrent dans la cave…

Nous continuerons à les suivre séparément dans l’épilogue, les dernières planches venant effacer les ruines de Berlin découvertes dans les premières, nous sortir de la grisaille et apporter une touche d’espoir.

L’originalité et la force de ce récit est d’épouser le point de vue de femmes, l’une allemande, l’autre russe mettant ainsi l’accent sur le sort réservé aux femmes en temps de guerre qu’il s’agisse des civiles allemandes ou des Russes enrôlées dans l’armée rouge.

« Quant aux femmes des peuples vaincus… Nous savons toutes ce qui nous attend, »

notera Ingrid dans son journal.

L’histoire est magnifiquement mise en valeur par la mise en scène, le découpage, le cadrage de Nicolas Juncker.

« Berlin est un champ de gris » : le gris de la poussière, des ruines, des cendres…

Les dessins en noir et blanc, les lavis vont explorer toute la palette des gris.

Cette monochromie ne sera rompue que par quelques touches de couleur, symboles d’espoir ou de souvenir heureux ainsi que l’utilisation du rouge lors de l’arrivée des russes et la prise du Reichstag.

Le trait précis tel un scalpel de Nicolas Juncker : visages taillés à la serpe pour les visages émaciés des Allemands, tout en rondeur pour la jeune Evgeniya et son supérieur (dont la physionomie et le côté grotesque nous rappellent L’agitateur de Grosz) vient renforcer l’extrême expressivité des personnages.

Pour conclure, on ne peut que féliciter l’auteur pour sa rigueur et sa précision dans les détails : ses reproductions de Berlin ainsi que ses références à la culture allemande, notamment la littérature.

Le titre n’est pas s’en rappeler Seul dans Berlin de Hans Fallada, roman inspiré également d’une histoire vraie, racontant la résistance d’un couple au régime nazi et décrivant sur fond de misère et de terreur le quotidien des habitants de l’immeuble berlinois où ils vivaient.

Evgeniya, dans Berlin dévastée désireuse de connaitre , essayant de comprendre cette culture lit Berlin Alexanderplatz de Döblin, œuvre majeure de la littérature allemande décrivant la dureté des conditions de vie à Berlin dans les années 20.

Le livre est refermé mais Ingrid et Evgeniya continueront longtemps à me hanter…

Un album magistral dont on ne sort pas indemne!

POUR ALLER PLUS LOIN

Les 2 journaux qui ont inspiré l’auteur

« La jeune Berlinoise qui a rédigé ce journal, du 20 avril 1945 – les Soviétiques sont aux portes – jusqu’au 22 juin, a voulu rester anonyme, lors de la première publication du livre en 1954, et après. À la lecture de son témoignage, on comprend pourquoi. Sur un ton d’objectivité presque froide, ou alors sarcastique, toujours précis, parfois poignant, parfois comique, c’est la vie quotidienne dans un immeuble quasi en ruine, habité par des femmes de tout âge, des hommes qui se cachent : vie misérable, dans la peur, le froid, la saleté et la faim, scandée par les bombardements d’abord, sous une occupation brutale ensuite. S’ajoutent alors les viols, la honte, la banalisation de l’effroi. C’est la véracité sans fard et sans phrases qui fait la valeur de ce récit terrible, c’est aussi la lucidité du regard porté sur un Berlin tétanisé par la défaite. Et la plume de l’auteur anonyme rend admirablement ce mélange de dignité, de cynisme et d’humour qui lui a permis, sans doute, de survivre.« 

« À l’automne 1941, lorsque, abandonnant ses études de philosophie, de Lettres et d’Histoire, elle s’engage auprès de l’Armée rouge pour devenir interprète, la jeune Elena Rjevskaïa n’imagine pas qu’elle vient d’être happée par les flots incontrôlables de l’Histoire. Au gré des batailles qui grondent en Russie, en Pologne et en Allemagne, elle accompagne les membres de l’état-major soviétique afin de traduire les documents dérobés à l’ennemi et d’interroger les prisonniers de guerre. C’est ainsi qu’elle parcourt, à vingt ans à peine, la distance qui sépare Moscou de Berlin, et entre dans la capitale du Reich avec les troupes russes au printemps 1945. Après la capitulation allemande elle participe à la découverte et l’identification du corps d’Adolf Hitler dans son bunker. Elle est la première à lire les documents personnels d’Hitler mais aussi les carnets de Goebbels ainsi que la correspondance personnelle de sa femme Magda. C’est sur cette trajectoire hors du commun que revient l’auteur, dans des mémoires inédits en français qui éclaircissent plusieurs épisodes de la Deuxième Guerre mondiale et leurs conséquences en Russie. Dans ses mémoires, Elena Rjevskaïa raconte de manière détaillée, documents à l’appui, toute l’histoire de la découverte et de l’identification du corps du Führer, à partir d’un morceau de sa mâchoire et de quelques dents. Avec une rigueur d’historienne, elle revient sur les méthodes d’autopsie précises des corps d’Hitler, d’Eva Braun et des Goebbels, révélant tout des interrogatoires et des déclarations des témoins des derniers jours du troisième Reich et du contenu des carnets de Goebbels, de Martin Borman ou de Rattenhuber, garde-du-corps personnel de Hitler. Rjevskaïa fait ensuite état de la bataille qu’elle a dû mener à son retour en Russie pour faire connaître ce qui a été découvert. Car le pouvoir soviétique, qui entendait entretenir le mythe de la menace nazie, a étouffé l’enquête, dissimulant les preuves et réduisant au silence Elena et son équipe.« 

L’expo au Centre de la Résistance, de la Déportation et de la Mémoire de Blois en 2021 lors du festival bd BOUM

Dans un tout autre style, un album préfigurant la chute du IIIe Reich

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