LE NID : Les fils de la mort

Les fils de la mort
Scénario : Marco Galli
Dessin : Marco Galli
Traduction : Didier Zanon
Éditeur : Sarbacane
170 pages
Prix : 24,00 €
Parution : 01 mars 2023
ISBN 9782377319824
Ce qu’en dit l’éditeur
« La fête » est finie !
Juin 1944. Hitler se retire avec les principaux dignitaires nazis dans sa résidence située dans les Alpes bavaroises, « le nid », d’où il lancera ses deux dernières offensives qui échoueront et annonceront la défaite du Reich. Souffrant de toutes sortes de maux et de sautes d’humeur, hanté par des cauchemars monstrueux, consommant drogues et médicaments, il est déjà un chef fini mais disposant encore d’un pouvoir de mort et de destruction redoutable. Ses invités, entre terreur et adoration, gravitent autour de lui et se perdent dans des soirées décadentes pour mieux nier la réalité qui se dessine sous leurs yeux.
Entre les hallucinations du Führer, la démission des généraux et l’amusement forcé des invités, ce sera aux montagnes, teintées d’un rouge sang, de révéler le sort qui attend tout ce “beau monde”.

Dans Le nid qui vient de paraître chez Sarbacane, Marco Galli nous convie à passer cinq jours et quatre nuits dans l’antre bavarois du Führer, alors que celui-ci, plus mégalo que jamais, semblant basculer vers la folie est victime de terribles hallucinations, et ce à trois jours du 6 juin 1944. Un huit-clos étouffant annonciateur du crépuscule de ceux qui se pensaient dieux mais n’étaient que fils de la mort.

Avant « La chute »
3 juin 1944, Alpes bavaroises

Une voiture, drapeau nazi flottant au vent file vers le Berghof, la résidence de villégiature d’Adolf Hitler perchée au-dessus de Berchtesgaden avec à son bord le docteur Morell en galante compagnie, nouvel arrivage de chair fraîche diront certains.

Pendant ce temps le Führer, blafard, le visage marqué par la souffrance et le manque attend impatiemment la dose de cocktail médicamenteux censée le soulager.
Quand on sait que le docteur Morell nommé médecin personnel d’Hitler en 1936, a prescrit à son patient jusqu’à 28 substances différentes (dont des amphétamines, des hormones et des stéroïdes), rien d’étonnant à ce que celui ci soit accro et sujet aux hallucinations. Tandis que se prépare l’attaque qui allait conduire à la défaite de l’Allemagne, promenades solitaires en forêt où se mêlent réalité et visions, séances de photos avec les enfants propagande oblige, élaborations de stratégies vouées à l’échec du dictateur que personne n’ose contredire, scandent le quotidien de celui qui s’enfonce dans la solitude et son univers hanté et que son entourage, partagé entre la crainte de déplaire et la désillusion, sentant le vent tourner, tente de conjurer le sort dans un cocktail d’alcool, de drogue et de sexe lors de fêtes dès que celui-ci s’est retiré dans ses appartements.


Une narration graphique expressionniste
Ce qui frappe d’emblée et interpelle dès la couverture, ce sont les choix graphiques effectués par Marco Galli auteur de bd italien mais également peintre.

Le nid « Il nido » paru en 2022 chez Coconino Press est son premier ouvrage publié chez Sarbacane. Il est intéressant de noter la différence de point de vue des 2 éditeurs quant au choix de la couverture, l’éditeur italien ayant opté pour la préfiguration de ce qu’il allait advenir du Berghof le 25 avril 1945.

Auparavant, outre sa contribution à plusieurs comics chez Marvel, sont parus également en français aux Éditions Ici Même deux romans graphiques : Océania en 2014 et Dans la chambre du cœur se cache un éléphant en 2016. Ces deux albums déjà nous faisaient évoluer dans des univers peuplés d’hallucinations.
Quant à son son dernier album, Le nid, il est l’illustration parfaite de l’osmose entre le peintre et le bédéiste. Par la composition extrêmement variée de ses planches, son découpage, ses cadrages, son utilisation magistrale de la couleur, il sculpte l’espace. Le gaufrier classique et austère va s’ouvrir sur les bois d’un cerf ou les volutes de fumée pour disparaître totalement lors des scènes d’hallucination ou bien encore les espaces intericoniques vont se muer en barreaux de prison…


Les aplats de couleurs désaturées, froides, terreuses alternent avec celles éclatantes, pétantes des scènes d’hallucination. Le noir profond des ombres, des bottes … le rouge vif des drapeau et brassard nazis et du sang qui rythment ou envahissent les cases concourent à incarner visuellement le propos et l’ambiance mortifère du récit.

Tel un tableau de Grosz ou un opéra de Kurt Weil, cette narration graphique nous offre une vision subjective de la réalité, soulignant l’atmosphère pesante, malsaine et provoquant émotions et malaise chez le lecteur. C’est absolument prodigieux !
Côté Cour
Le récit découpé en chapitres correspondant aux jours nous brosse deux tableaux d’Hitler, l’un dans ses interactions avec son entourage, l’autre dans la solitude de son intimité.
Autour de lui, ce n’est pas la cour des miracles mais plutôt celle de la flagornerie, de la lâcheté, de la crainte face à ce malade dans le déni et à ses sautes d’humeur, ceci étant parfaitement illustré par la scène du 6 au matin quand personne n’ose lui annoncer le débarquement.

Outre le docteur Morell (Morel dans la bd) et ses « invitées », on croisera divers dignitaires du régime dont les « banalement » célèbres Eichmann et Goebbels ainsi que des membres de son état major.






Goebbels
Et puis il y a Eva Braun bien sûr qui, ne semble guère apprécier le docteur Morell et ses traitements, consciente que ceux-ci s’ils soulagent sa douleur n’en accentuent pas moins sa confusion. C’est le personnage le plus nuancé du récit, le plus humain peut-être comme le suggère la couverture : la seule à n’être pas caricaturée et regardant dans une autre direction.
Le dessin de Marco Galli tout en étant fidèle aux traits des personnages verse également dans le burlesque et la caricature lors des fameuses soirées décadentes notamment. De nombreux gros plans sur les visages, les bouches ne nous les rendent que plus effrayants lorsqu’ils rient ou sourient.

Côté chambre
Hiltler ne participe pas à ses soirées. Poursuivi par ses hallucinations auditives, visuelles perdant pied avec la réalité, il se retire en fin de repas, arpente les couloirs déserts de la résidence en compagnie de Blondi, sa chienne berger allemand qui ne le quitte pas, se rend seul dans la salle de projection pour y regarder des films de Chaplin et quand sexe avec Eva il y a, la chair est triste … S’il rejoint les autres, c’est pour leur servir d’interminables logorrhées …
Hiltler ne participe pas à ses soirées. Poursuivi par ses hallucinations auditives, visuelles, perdant pied avec la réalité, il se retire en fin de repas, arpente les couloirs déserts de la résidence en compagnie de Blondi, sa chienne berger allemand qui ne le quitte pas, se rend seul dans la salle de projection pour y regarder des films de Chaplin et quand sexe avec Eva il y a, la chair est triste … S’il rejoint les autres, c’est pour leur servir d’interminables logorrhées …

Les murmures de la forêt : Hitler, le chasseur et le cerf …
Et puis il y a les scènes des promenades solitaires dans la forêt qui jouxte le domaine. Ce n’est pas la forêt de Birnam (Ce seront plutôt les montagnes qui joueront ce rôle annonciateur de défaite) encore moins celle de Brocéliande et pourtant… Il s’y passe des choses étranges quand se croisent Hitler, le chasseur et un cerf. Effet de miroir …

Et picturalement parlant, outre les influences implicites expressionnistes, surréalistes, voire de la nouvelle objectivité qui parcourent l’album on a une référence explicite à la figure emblématique du romantisme allemand avec ce croisement du voyageur contemplant une mer de nuages et des blanches falaises de Rügen dans cette illustration pleine page qui pourrait également être un décor en carton pâte d’un opéra de Wagner …


Caspar David Friedrich

Caspar David Friedrich
L’aube du crépuscule
Un court épisode vient rompre l’unité de lieu de ce récit conçu comme une tragédie en 5 actes avec prologue en nous menant loin de Berchtesgaden sur les côtes françaises. Cette rupture est clairement signifiée par le changement de graphisme.
Pour évoquer le débarquement, Marco Galli va délaisser la couleur au profit du sépia en sept planches muettes à la composition identique constituées de deux strips. Quant à la représentation des personnages, à la manière d’un Spiegelman ou d’un Calvo, ils optera pour l’anthropomorphisme non sous la forme de chiens ou de bisons mais de canards faisant peut-être ainsi référence aux « ducks », surnom donné par les GI aux GMC DUKW, ces véhicules amphibies grandement utilisés lors du débarquement.

« Bientôt tout sera bientôt terminé. »
Laissons Adolf Hitler rentrer à Berlin pour fêter la victoire prochaine … Ce huis-clos en évoque un autre à venir qui se déroulera, lui, quelques huit mois plus plus tard. On a tous en mémoire le film La chute d’Oliver Hirschbiegel sorti sur nos écran en 2004 évoquant les derniers jours d’Hitler réfugié dans son Bunker berlinois alors que la ville est sur le point de tomber dans lequel Bruno Ganz crevait l’écran dans le rôle d’Hitler. Plus dure sera la chute !
Quand la réalité historique est vue à travers les yeux d’un artiste, cela donne naissance à un album captivant dans lequel le verbe est réduit à portion congrue pour laisser place à une narration graphique époustouflante qui certes provoque le malaise mais aussi la fascination chez le lecteur. Mais n’est-ce pas justement ça l’art?
POUR ALLER PLUS LOIN
Berlin, 10 mois plus tard …
