LA CHAMBRE DES OFFICIERS


La chambre des officiers

La chambre des officiers
Scénario : Philippe Charlot
d’après Marc Dugain
Dessin : Alain Grand
Éditeur : Bamboo
Collection Grand Angle
72 pages
Prix : 16,90
Parution : 01 mars 2023
ISBN  9782818993415

Ce qu’en dit l’éditeur

Le lent retour à la vie d’hommes qui doivent tout réapprendre, et surtout le regard des autres.
1914. Aux premiers jours de la guerre, un éclat d’obus défigure Adrien. Le voilà devenu une «gueule cassée», reclus au Val-de-Grâce, dans une chambre réservée aux officiers.
Adrien restera cinq ans dans cette pièce sans miroir. Cinq ans pour réapprendre à vivre au rythme des opérations. Cinq ans entre parenthèses à nouer des amitiés d’une vie avec ses compagnons d’infortune. Cinq ans de «reconstruction» pour se préparer à l’avenir. Cinq ans à penser à Clémence qui l’a connu avec sa gueule d’ange…

DU LIVRE À L’ADAPTATION CINÉMATOGRAPHIQUE ET EN BANDE DESSINÉE

« La Chambre des officiers » de Marc Dugain est paru en 1998, 80 ans après la signature de l’Armistice. C’était le premier roman de cet ingénieur financier, écrit en 15 jours d’après les souvenirs et la vie de son grand père, Eugène Fournier, et de ses compagnons « gueules cassées » qu’il avait rencontrés enfant lors de vacances dans un château appartenant à l’Union des blessés de la face et de la tête.

L’histoire d’Adrien, ce lieutenant du génie, défiguré aux premiers jours de la guerre par un éclat d’obus qui ne mena pas la Grande guerre de tranchées des Poilus mais une guerre plus intime en restant cinq ans au Val de Grâce dans la « chambre des officiers » pour se reconstruire et réapprendre à vivre fut un succès immédiat et remporta pas moins de 18 prix littéraires.

Ce roman fut trois ans plus tard porté au cinéma par François Dupeyron et il est aujourd’hui adapté en bande dessinée par Philippe Charlot, dessiné par Alain Grand, et mis en couleurs par Tanja Wenisch dans la collection « Grand Angle » chez Bamboo. Or le slogan de cette collection est « la BD comme au cinéma ! » ; on serait donc en droit de se demander si cet album ne serait pas superflu puisqu’il y a déjà eu une adaptation sur grand écran. Mais nous verrons qu’il n’en est rien et que chacun des media présente une vision spécifique et complémentaire.

AU NOM DU GRAND-PÈRE OU LE ROMAN DU DEVOIR

Quand Marc Dugain écrit son œuvre, la littérature sur 14-18 n’est pas aussi abondante qu’au moment du centenaire. Nombreux sont ceux qui n’ont jamais entendu parler des « gueules cassées » selon l’expression de l’un des plus célèbres d’entre elles, le colonel Picot, lui-même gravement défiguré qui fut le premier président de l’Union des blessés de la face et de la tête et œuvra sa vie durant pour leur défense et leurs droits. Le roman est donc en premier lieu un hommage au grand père maternel dont l’histoire s’inspire et à son destin tragique. Le héros porte d’ailleurs le patronyme réel de l’ancêtre… L’œuvre donne toute sa place à une réalité qu’on a eu tendance à occulter puisque le conflit de 14-18 fut le terreau d’expérimentation de nouvelles armes : chimiques (combien de poumons brûlés au gaz moutarde !) mais aussi inventions d’artillerie tels les mitrailleuses, les grenades ou encore obus à billes qui infligèrent des blessures encore jamais vues auparavant.

L’écrivain raconte comment ces mutilés furent sauvés tout en servant de cobayes à la médecine militaire. On a de nombreuses descriptions des lourds traitements médicaux et des opérations qui leur furent infligés. Il évoque également l’autre épreuve qui attendait ces blessés : le regard des autres – qu’il s’agisse des proches ou des simples passants – et la difficulté de composer avec leur nouvelle apparence. Dugain en fait finalement des héros paradoxaux puisque même s’ils ont très peu participé aux combats, ils ont dû faire preuve de résilience et cela a été aussi une âpre lutte.

le domaine des gueules cassées à la Valette du Var près de Toulon où Marc Dugain passa des vacances en compagnie de ses grands parents maternels

Né sur des témoignages d’anciens officiers, le livre ne remet pas vraiment en cause la guerre : on apprend que le grand-père d’Adrien a combattu en 1870 et il écrit lui-même au jeune homme hospitalisé qu’il « a fait son devoir ». La guerre est présentée comme une nécessité et le sentiment patriotique n’abandonne pas le héros. Le ministre qui vient rendre visite à Adrien est présenté comme plutôt efficace et compétent et le blessé est heureux de leur interaction : « je ne réalise pas très bien l’événement qui vient de se produire et pourtant j’en ressens une vraie fierté ». Les trois héros sont conviés à la signature du traité de Versailles, la légion d’honneur leur est remise par Clémenceau et ils sont ravis. De plus le roman s’attache plus à l’évocation de l’amitié (et pas seulement virile ! Il y a une femme dans le quatuor : l’infirmière défigurée Marguerite) qu’à la condamnation de la guerre. Il est porteur d’un message d’espoir car il se focalise sur la lente reconstruction des personnages et à la naissance de liens indéfectibles qui perdurent jusqu’à les amener à résister lors du deuxième conflit mondial.

UN FILM PACIFISTE

Le film lui est clairement pacifiste. La scène d’ouverture dispense d’emblée ce message dans une prolepse par rapport au roman qui se déroule lui dans l’ordre chronologique : celle d’une cérémonie militaire qui a lieu en 1918. Bien moins prestigieuse que celle du Traité de Versailles évoquée dans le livre, elle est présentée comme une remise de médailles figée, confite dans des rituels désuets, devenant même effrayante lorsqu’apparaît en gros plan le visage d’Adrien barré d’un bandeau laissant entrevoir sa bouche grimaçante. Toutes les scènes de liesse et de fête qui suivent sont comme contaminées par cette annonce qui fait office de cœur tragique.

Le personnage de Clémence, la jeune femme que le héros rencontre la veille de son départ et dont il va chérir le souvenir durant sa longue convalescence poursuit ce travail de désacralisation et de condamnation de la guerre et du sentiment patriotique dans une scène inventée par Dupeyron. Elle demande sans détours à Adrien, lorsqu’il l’invite au café, s’il « aime la guerre », s’il « aime tirer sur des gens qu’il ne connaît pas » et elle finit par se disputer avec leur voisin de table dont l’enthousiasme patriotique est exacerbé parce que bien arrosé. Cette dénonciation se poursuit avec la scène de la visite du ministre au Val de Grâce : alors que dans le roman il reste intéressé par le sort du jeune officier, il est caricaturé dans le film. Chauve, doté d’une moustache de morse, il ne semble pas savoir comment se comporter ni quoi dire au blessé. Il apparaît totalement coupé de la réalité et ne pense qu’à renvoyer Adrien participer à cette boucherie héroïque.

La fierté ressentie par le héros du roman laisse place à l’amertume chez son alter ego au cinéma : « il m’a déjà oublié. Et je le remercie, c’est le premier qui ne fait pas la grimace en me regardant » confie-t-il à l’infirmière Anaïs.

Enfin on notera que dans le film le héros est moins sauvé par les amitiés qu’il va nouer au long cours (puisque l’action s’arrête en 1919 à la sortie du Val de Grâce et non en 1946 comme dans l’œuvre originelle) que par les femmes. En effet, le personnage maternel d’infirmière joué par Sabine Azéma n’existait pas dans l’œuvre initiale tout comme celui de la petite fille qu’il effraye dans le tramway par son apparence mais qui finit par rire de ses pitreries ou encore celui de la jeune femme qu’il rencontre à l’épilogue et dont on comprend qu’il pourrait s’agir de sa future femme. A chaque fois ces personnages féminins ajoutés le ramènent à la vie.

UN ALBUM À LA CROISÉE DES GENRES

L’adaptation de l’œuvre de Dugain était une grande première pour Philippe Charlot qui ne s’était jamais prêté à l’exercice. Il y a été encouragé par Hervé Richez qui lui a proposé ce projet de partenariat avec les éditions Lattès parce que ce scénariste est un passionné par l’Histoire comme le montrent ses ouvrages précédents parus chez Grand Angle (d’« Ellis Island » au « Royal Fondement » ). Il est épaulé dans cette tâche par Alain Grand qu avait déjà réalisé en tant qu’auteur complet une adaptation d’un roman biographique « Les enfants de la liberté » dans laquelle l’écrivain de best-sellers Marc Levy racontait la rocambolesque évasion de son père résistant adolescent des « trains de la mort ».

Le romancier, contrairement à Pierre Lemaître pour l’adaptation de la trilogie du désastre par De Metter, n’a pas participé à l‘écriture du scénario mais a écrit une préface à l’album dans laquelle appariassent les objectifs qu’il s’était fixé : utiliser la bande dessinée comme moyen de transmettre l’Histoire « à un public encore plus large » , et « alors que la guerre renait aux portes de l‘Europe » condamner cette « barbarie humaine » tout en donnant à voir la « lueur d’humanité » procurée par l’entraide et de la solidarité.

L’on peut dire que les deux auteurs de l’album se sont fort bien acquittés de la tâche qui leur était impartie en oscillant sans cesse entre fidélité à l’œuvre source et interprétation : fidélité d’abord car chacun des quatre chapitres qui le composent commence par une page de garde ornée d’une illustration pleine page et d’un extrait du roman. On retrouve aussi des dialogues in extenso, la durée est la même puisque le roman commence en 1914 et s’achève en 1946, les péripéties sont globalement respectées y compris celle de l’histoire d’amour (ce qui n’était pas le cas du film) et il n’y a pas non plus de personnages inventés.

Mais Philippe Charlot se livre également à une interprétation en condensant certaines scènes et en choisissant de bouleverser la chronologie plutôt linéaire du roman. Ainsi le début est in media res : la première séquence se déroule au front, l’embuscade en page deux : grâce au découpage, le lecteur perçoit ainsi la rapidité du basculement du destin d’Adrien dont le sort est scellé en deux pages.

La guerre paraît d’emblée au cœur du sujet et on n’en occulte aucun des aspects déplaisants puisque dès la deuxième séquence dans laquelle le médecin monologue en faisant son diagnostic on a moults détails sur la blessure du héros.

L’horreur de la guerre est également montrée grâce aux cauchemars du protagoniste dans une esthétique très expressionniste qui peut rappeler l’œuvre d’Otto Dix et surtout grâce à l’alternance avec les flashbacks heureux de la rencontre avec Clémence. Aux couleurs plutôt ternes de la chambre du Val de Grâce succèdent les couleurs franches d’une journée d’août, le bleu, blanc rouge vif des drapeaux des képis et des pantalons garance et la robe verte couleur d’espoir de l’héroïne. Les cases plutôt petites dans les scènes d’hôpital occupent alors davantage d’espace allant jusqu’à la demi-page.

Le bonheur enfui à cause de la guerre devient ainsi plus prégnant par contraste. La satire très présente dans le film des ministres et officiers se retrouve en outre ici : ils sont caricaturés, présentés comme suintant de peur ou grotesques avec un faciès à la Hardy.

Mais le point le plus remarquable semble être la représentation par Alain Grand de l’horreur des mutilations. Dans une première vie ce dessinateur était en effet chirurgien dentiste ; l’on peut dire que ses portraits de gueules cassées et les détails des expérimentations auxquelles se livrent les médecins sont d’une précision clinique tandis que le roman reposait sur l’imagination du lecteur et que le film semblait plus édulcoré. Tout le début de la bande dessinée est en « caméra subjective » : les gens sont vus par Adrien mais lui n’est jamais montré. Cela crée un effet dilatoire : nous découvrons le visage du héros au même moment que ce dernier dans le reflet d’une fenêtre ce qui favorise le sentiment d’identification et décuple le sentiment d’horreur et de gâchis.

La lisibilité du trait d’Alain Grand (il a travaillé auparavant pour l’édition jeunesse), de la narration de Philippe Charlot et des couleurs de Tanja Wenisch permettent de remplir pleinement le souhait de Marc Dugain : rendre son roman accessible au plus grand nombre. Loin de le trahir, les modifications chronologiques, les séquences alternées avec flashbacks, les citations expressionnistes ou encore la satire reprise du film de Dupeyron permettent également de faire passer le message pacifiste que veut désormais transmettre l’écrivain tandis que le thème de l’amitié qui lui tenait tant à cœur est également parfaitement retranscrit. Le roman est inscrit au programme des collèges et des lycées, cette adaptation en bande dessinée en 72 pages de « La Chambre des officiers » devrait également l’être car c’est une parfaite réussite.

POUR ALLER PLUS LOIN

Des bandes dessinées mettant en scène des gueules cassées de 1914.

Chronique de La dernière reine de JM Rochette

L’ambulance 13

tome 6

Gueules de guerre

Alain Mournier

Patrick Ordas

L’atelier des gueules cassées

Amazing Ameziane

Sibylle Titeux de la Croix

Au revoir là-haut

Christian De Metter

d’après Pierre Lemaître

Pour un peu de bonheur

A. Dan

Laurent Galandon

Gueule d’amour

Delphine Priet Mahéo

Aurélien Ducoudray

Dans les eaux glacées du calcul égoïste

Luca Erbetta

Lancelot Hamelin

Livres et documentaires

Les gueules cassées : les médecins de l’impossible

Martin Monestier

éditions du cherche midi (2009)

Représenter les « Gueules cassées » : un siècle d’écrits et d’images


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :