Interview Zanzim


Interview Zanzim : Grand petit homme

au FIBD, Angoulême

30 janvier 2025

Bonjour Zanzim merci de nous recevoir pour « Bulles de Dupondt ». « Peau d’homme » a connu un succès phénoménal ; comment gère-t-on l’après d’autant que c’est la première fois que vous êtes « sans » Hubert (puisque même si vous aviez écrit le scénario de « L’île aux femmes », il en avait réalisé les couleurs) ?

En fait, oui c’est la première fois que je me trouve vraiment tout seul à gérer le scénario, le dessin et les couleurs. Après un succès comme « Peau d’homme », on est un peu attendu au tournant puisqu’il y a eu énormément de succès donc j’ai essayé de réfléchir au mieux à une histoire qui me correspondait et que j’avais envie de raconter.

Et qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’écrire « Grand petit homme » précisément ?

Alors il y a eu plusieurs choses : il y a quelque chose que je ne peux pas dévoiler à la fin de l’album qui a été le point de départ de l’histoire, mais finalement c’était aussi l’envie de raconter le monde minuscule.

Tous les films comme « L’homme qui rétrécit », « Chérie, j’ai rétréci les gosses » ou « Gulliver » ça m’a toujours fasciné. Je me suis dit « tiens je vais imaginer l’histoire d’un homme qui est petit en taille « – donc raisonnablement il fait 1m 57, je me suis basé sur la taille de Prince – et puis j’ai imaginé après qu’il allait devenir encore plus petit voire hyper minuscule et j’ai pensé à ses aventures.

Pourquoi ce titre intrigant et oxymorique ? Est-ce un hommage aux « Ogres dieux » d’Hubert et Gatignol série dont le tome 1 s’intitulait « Petit » et le tome 3 « Le grand homme » ?

Oui c’est vrai ! Je n’y avais pas forcément pensé au début, je pense que c’est un peu inconscient de ma part, mais c’est vrai que « Petit » ça fait penser à un album d’Hubert et « Le Grand homme » à la troisième histoire des « Ogres dieux » mais c’est aussi plutôt un hommage à « Little Big Man », le film d’Arthur Penn avec Dustin Hoffman où à un moment on l’appelle « grand petit homme » c’est-à-dire un homme qui qui est petit en taille mais qui devient grand par son humanité. C’est ça qui m’a donné l’envie de raconter cette histoire.

Vous parlez de « Little Big Man » mais c’est un film plutôt réaliste parce qu’en plus c’est fondé sur un fait historique or vous vous allez dans le conte fantastique avec cette histoire de bottes magiques…

Oui c’est ça, c’est un conte complètement fantastique sur un personnage fétichiste des chaussures et donc là on a ces bottes magiques, cette fameuse paire de chaussures qu’il adore, qui sont issues d’une vache sacrée indienne. Quand il se met à se consoler sur ces chaussures, à pleurer dessus en les frottant, il devient minuscule de la taille d’un index.

Ou d’un talon aiguille …

Ou d’un talon aiguille, c’est pareil ! Il faut qu’il fasse un peu attention à ne pas se faire écraser car là c’est sa vie qui en dépend !

Il y a une polémique surprenante actuellement sur les réseaux quant à cet album : certains l’accusent d’être malsain et de réifier les femmes. Ne s’agirait-il pas d’un réel contresens ? En tout cas, moi en tant que femme, j’ai perçu cette interprétation comme étant erronée, surtout lorsqu’on met en parallèle « Grand petit homme » et l’album collectif « Si t’es un homme » auquel vous avez participé et même, si on en croit l’avant-propos, dont vous êtes à l’origine. Donc est-ce que vous pouvez nous parler un petit peu de « Si t’es un homme » et nous dire de ce que vous pensez de de cette interprétation de « Grand petit homme ».

Alors dans « Si t’es un homme » en fait l’idée c’était de de raconter quelles sont les injonctions faites aux hommes. Moi tel que je l’ai vécu c’est « un homme ne doit pas pleurer »…

Ni porter de knickers…

Voilà ! « Un homme doit savoir faire une vidange », « un homme ne doit surtout pas s’habiller d’une manière trop féminine » … Et donc j’ai eu l’idée de de raconter ces histoires de sensibilité, d’hypersensibilité, que les hommes n’ont pas forcément le droit d’avoir et puis donc, du coup, je me suis mis à faire une bande dessinée. J’en ai parlé à Annaïg Plassard qui a eu l’idée de réunir plusieurs auteurs hommes pour pouvoir parler de leur sensibilité.

Et vous pensez quoi de l’interprétation de « Grand petit homme » dont je vous parlais?

Moi ce que je voulais faire c’est un personnage à la base qui est petit mais qui est aussi petit dans sa tête… Donc pour le faire évoluer, il fallait qu’il ne soit pas forcément très chouette et c’est son côté humain ! Et dans le côté humain, il y a aussi des choses qui ne sont pas forcément très appréciables … J’aime bien jouer aussi avec les codes sur des préjugés qu’on peut avoir aussi. Dans la BD « L’île aux femmes » on se dit tout de suite « c’est un macho, il est sur une île ça va être encore un truc contemplatif sur un homme qui a toutes les femmes pour lui » et en fait non, c’est plutôt une BD féministe.

En fait, là c’est pareil, il va accomplir de hauts faits pour pouvoir grandir… Et puis pour moi un grand homme c’est quelqu’un qui est plutôt anonyme, qui ne se la raconte pas et qui ne va pas publier ce qu’il fait.

Alors est-ce qu’on pourrait du coup considérer que votre récit c’est un apologue avec une morale ?

Je n’ai pas voulu donner de de morale, je laisse plutôt le lecteur se faire sa propre idée, je n’aime pas trop l’idée de donner des injonctions … C’est plutôt l’idée d’amener à réfléchir ; après moi s’il y a discussion, bah discutons ! Après peut être qu’il y a des choses qui sont peut-être un peu maladroites et mal perçues mais en tout cas ce n’est pas du tout l’idée que je voulais donner à l’album !

Je reviens un petit peu sur ce que vous avez dit : dans « Le Pédé des beaux-arts » votre récit court qui ouvre le collectif et aussi dans « Grand petit homme », on retrouve l’injonction pour les héros de se comporter en « Homme » avec un grand « H ». Comme votre récit court est plutôt autobiographique – si j’ai bien compris – peut-on imaginer que c’est quelque chose dont vous avez souffert et que ce mal-être finalement vous le transposez sur vos héros ? On trouve en effet une proximité dans les traits de votre personnage du récit court et de Stanislas.

La proximité physique des héros c’est parce qu’en fait j’ai conçu le récit du collectif en même temps que je dessinais « Grand petit homme ». Il y a quelques similitudes en effet, par exemple quand Stanislas se fait moquer par les deux vendeuses dans le magasin ; moi je me suis tapé quelques râteaux avec des filles très grandes et très jolies et qui m’ont ramené au fait que j’étais tout petit ! En fait on va puiser dans les choses qu’on connaît…

Vous évoquiez aussi tout à l’heure le personnage de « L’île aux femmes », est-ce qu’on peut voir une parenté entre les deux albums à part l’appendice nasal de chacun des héros ?

Stanislas comme Céleste Bompard sont des personnages qui ont une vision des femmes un peu « rétrécie » et qui vont apprendre au fur et à mesure de leurs actes et de leurs rencontres à essayer de d’évoluer. Je pense que c’est ça peut-être le lien entre les deux récits et puis aussi le lien avec l’amour : l’amour finalement prédomine et va finir par être leur salut.

Vous parliez tout à l’heure du fait que vous ne délivriez pas de morale mais il n’y a pas de côté mièvre non plus dans ces récits.

Oui ! il faut que ça puisse amener à réfléchir mais il ne faut pas non plus que ça tombe à plat !

Le nom de famille de votre personnage : est-ce une antiphrase (parce qu’il est tout sauf « rétif » au début et cherche vraiment à se fondre dans la masse) ou un hommage à l’écrivain libertin Restif de la Bretonne ?

À Restif de la Bretonne je crois, puisque j’en ai eu l’idée en pensant au « rétifisme » [nom commun désignant le fétichisme des pieds fondé sur le patronyme de l’écrivain qui vouait une passion aux pieds féminins qu’il met en scène dans sa nouvelle « le pied de Fanchette » NDLR] et puis Stanislas c’était le nom d’un de mes grands-pères tout simplement.

Ah bon ? Je pensais que Stanislas c’était un clin d’œil à Truffaut et à « Une belle fille comme moi » en fait !

Ah oui on m’a déjà dit ça ! Mais en fait non ! Il y a plein de choses aussi qu’on fait comme ça sans trop s’en rendre compte. J’avais commencé à écrire l’histoire et puis je l’ai donné à lire à mon éditeur et on s’est dit « Ah mais en fait il y a aussi ça dans Truffaut ! »

Oui, dans « Baisers volés », Antoine Doinel travaille dans le magasin de chaussures de monsieur Tabard et puis il y a surtout Charles Denner dans « L’homme qui aimait les femmes » amoureux des jambes et des chaussures féminines… Là, la ressemblance n’est pas fortuite ?

Oui, oui, c’est Charles Denner ! J’ai essayé pour Stanislas de faire un petit peu sa tête avec son grand nez et son petit menton.

Et puis la scène du soupirail qu’on retrouve aussi dans « Vivement dimanche » ?

Oui mais ma référence principale c’est « L’homme qui aimait les femmes » et la fameuse trilogie Doinel. Ce sont des films qui m’ont marqué. Moi je suis un enfant de « La dernière séance » avec Eddy Mitchell et donc voilà il y a plein de choses aussi qu’on a en nous comme ça et qu’on ressort.

Pourquoi en avoir fait un fétichiste ?

C’est quelque chose qui plutôt m’amuse. Moi déjà j’aime bien les chaussures, mais les chaussures d’hommes ! Et je connais plein de copines qui sont complètement dingues de chaussures, qui achètent plein de chaussures et qui les mettent à côté de leur lit avant de les porter… Et je me suis beaucoup amusé à dessiner ces chaussures et à imaginer ce personnage qui lèche le cuir mais bon après si ça dérange …

Ce goût particulier ne sert-il pas aussi à créer une sorte d’ambivalence du personnage pour qu’il ne soit pas trop lisse ?

Oui c’est ça, je voulais que le personnage soit un petit peu petit pour pouvoir évoluer comme je le disais tout à l’heure. Je souhaitais qu’il soit un peu antipathique pour que ma chute puisse fonctionner. J’ai monté mon histoire à l’envers du coup c’est comme ça que je l’ai imaginé. Au départ lui il est malheureux par sa taille mais c’est aussi parce qu’il n’aime que les grandes inaccessibles ! (Ça aussi c’est un souvenir du lycée !) Et puis après justement il va découvrir une autre femme qui n’en est pas moins belle mais c’est juste qu’il ne s’était pas mis en en condition pour pouvoir la découvrir. Au fur et à mesure de l’album, ses yeux vont s’agrandir, son cœur va s’agrandir, pour qu’il puisse découvrir autre chose de de la vie.

Pour le fétichisme je m’étais aussi demandé si vous n’aviez pas voulu faire une petite variation sur le proverbe « trouver chaussure à son pied » ?

Oui c’est bien vu ! Je fais plein de petits jeux de mots au début comme « c’était une pointure » « un spécialiste hors pair » donc « chaussure à son pied » ça reprend aussi une expression toute faite !

On a évoqué déjà pas mal de films et vous êtes visiblement cinéphile. Est-ce que ça influe sur votre narration ou sur votre découpage ?

Dernièrement ce sont plus les séries qui m’ont apporté sur la narration. C’est à dire que lorsque j’écris mon histoire, je me mets tous mes petits chapitres sur des post-it et après je me suis aperçu que les post-it, je pouvais les intervertir. Des choses qui allaient être à la fin, les mettre au début, ou bien faire des flashbacks et des choses comme ça … Donc le mode de narration de série m’a beaucoup influencé pour le découpage.

Sur l’histoire, le cinéma c’est souvent un point de départ qui nourrit mon imaginaire et puis après je fais des mélanges entre plein de choses.

Pour « Peau d’homme » il y avait l’influence des enluminures, des perspectives axonométriques là vous êtes plus dans l’esthétique pop des années 50 pourquoi est-ce que vous avez voulu ce côté vintage voire un petit peu désuet ?

Ah Ben j’adore ! Les années 50- 60, c’est une période qui m’a toujours fasciné. Chez moi la déco c’est que du formica ! J’aime cette époque parce qu’il y a du design dans les objets, il y a du design dans la mode, dans les voitures… Tout est source de design, d’élégance et c’est toujours quelque chose qui m’a plu. Je m’étais dit « si un jour je dois faire un album qui soit à peu près contemporain, ce sera dans cette période-là ».

Avez-vous déjà d’autres projets ou bien vous accordez vous une pause ?

À la fois je me repose et j’ai d’autres projets ! C’est à dire que je commence à écrire sur mon enfance, j’essaie de de me souvenir de choses d’avant. Je n’ai pas encore le fil conducteur et je ne sais pas ce qui va émerger mais en tout cas c’est assez agréable parce que quand on commence à ouvrir une porte de l’enfance, il y en a plein d’autres qui s’ouvrent … Je me dis que j’ai quand même pas mal de de choses à raconter.

En parallèle j’ai écrit aussi un autre conte : j’y travaille un peu tous les matins, juste 1 h et puis toute la journée j’y pense et le soir j’en rêve et puis le lendemain je retourne à mon histoire ! Je travaille juste une heure par jour depuis un mois et j’agence mes post-it et à la fin ça forme une histoire. Mais durant cette étape, je ne dessine pas, c’est quelque chose que je m’interdis.

Il y a une comédie musicale qui vient de d’être lancée à Paris d’après « Peau d’homme » ? Est-ce que vous l’avez vue ?

Oui, je l’ai vu samedi dernier c’est formidable donc avec Léna Bréban à la mise en scène et puis avec une Laure Calamy exceptionnelle dans le rôle de Bianca. Elle a un punch terrible et je suis hyper content de de cette adaptation. On leur a fait confiance, on leur a donné carte blanche parce qu’on savait quelle était la qualité de leur travail et l’idée c’était de les laisser complètement libres pour ne pas empiéter sur leur univers. Le résultat est vraiment très chouette ! Et je pense qu’Hubert serait fier.

Interview d’Anne-Laure SEVENO

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