Philippe Pelaez


INTERVIEW DE PHILIPPE PELAEZ

(14 septembre 2022)

Bonjour Philippe Pelaez, merci de nous accorder un peu de votre précieux temps. Première question : vous êtes très prolifique et vous continuer d’enseigner en parallèle : ça vous arrive de dormir ?

Eh non, justement, voilà la clé ! Je dors très peu, environ 4h par nuit, parfois 5 quand je fais la grasse matinée. Ce qui veut dire que j’ai un peu plus de temps que les autres pour mener tous mes projets.

Vous avez une formation d’angliciste et également en études cinématographiques, en quoi cela influence-t-il vos scénarios ?

Les deux me sont extrêmement utiles, même si au premier abord on pourrait penser que le cinéma et la BD sont beaucoup plus liés : pour le découpage, la mise en scène, la description des cases. J’imagine toujours mes histoires comme des films, et rien ne me satisfait plus qu’un dessinateur qui visualise les scènes à la lecture d’un scénario. La connaissance de l’anglais est également utile car il me permet d’étendre le champ de mes recherches documentaires ; et pour certaines histoires, celles-ci peuvent être très importantes.

Vous êtes-vous donné comme mission de noircir et rendre plus adulte l’image de Grand Angle en y publiant en moins de deux ans : « Dans mon village on mangeait des chats », « Puisqu’il faut des hommes » et « L’Ecluse » qui sont particulièrement noirs ?

Je dois avouer que c’est la première remarque que l’on m’ait faite à la sortie des « chats », ma première publication chez Grand Angle : enfin une histoire qui allait un peu noircir le tableau ! Mais de manière plus générale, je suis le fil de mon inspiration ; j’ai des périodes un peu plus sombres où j’ai envie d’écrire sur la misère humaine, d’autres où j’ai soif d’aventures et parfois, aussi, juste l’envie de faire sourire et rire avec notamment Un peu de tarte aux épinards ou Super Vilains qui vient de sortir chez Fluide Glacial. Ça dépend de mon humeur, finalement…

« L’Ecluse » est l’un de vos premiers scénarii -retravaillé- , pourtant on y trouve déjà ce qui fera votre singularité : alternance des époques, voix off indéterminée, chapitrage et une très grande intertextualité, nous y reviendrons. Il y a donc bien recherche d’une écriture …Pourrait-on qualifier vos albums de romans graphiques ?

Je ne sais pas vraiment ce que veut dire « roman graphique »; j’ai l’impression que c’est un terme régulièrement galvaudé pour se donner une bonne conscience ou se persuader que la BD peut aussi être de la littérature. Elle l’est, ce n’est pas la peine d’avoir recours à ce terme que j’ai toujours trouvé un peu pompeux et faussement intellectuel. Si un roman graphique est une BD avec plus de pages et moins de cases par planche, alors non, je ne fais pas de roman graphique. Pour l’instant. J’essaie juste d’écrire de belles histoires, émouvantes, équilibrées, parfois complexes, juste pour essayer de donner l’envie au lecteur de relire l’album une fois la dernière page tournée, et de lui donner matière à réflexion.

Première version de l’écluse avec Fanny Montgermont comme dessinatrice pressentie

En revanche les thématiques de vos albums sont très variées : pour ne citer que les derniers on passe d’une adaptation (Furioso), à un roman-feuilleton (l’Enfer pour aube), un pol-art (« Automne en baie de Somme »), un album historique ( « Le Bossu de Montfaucon ») ou même jeunesse (« Supervilains »). D’où vous vient l’inspiration ?

On me pose souvent cette question, et j’ai toujours la même réponse : je n’en sais rien ! Je me réveille souvent avec des idées ; d’autres me viennent comme ça, en croisant le regard de quelqu’un, en observant les gens, en lisant un article.

Aucun de ces derniers titres n’est écrit en collaboration avec le même dessinateur. Qu’est-ce qui préside à votre choix ?

Sur mes derniers projets, c’est souvent l’éditeur qui me propose une collaboration avec un dessinateur de son choix. Bien sûr, ensuite, il faut établir le premier contact et voir si les aspirations et les inspirations des uns et des autres sont compatibles. Je demande toujours à un dessinateur ce qu’il a ressenti, quelles sont les images qui lui sont venues à la lecture du scénario.

Chez Grand Angle on a l’habitude de lire d’abord les scénarii et ensuite d’y associer un dessinateur. Vous est-il déjà arrivé d’écrire au contraire spécifiquement un scénario parce que vous souhaitiez travailler avec un dessinateur particulier ?

Oui. C’est le cas avec Hugues Labiano pour Quelque chose de froid, à paraitre chez Glénat, ou avec Tiburce Oger pour L’Enfer pour Aube ; deux histoires écrites avant de leur proposer ! D’autres dessinateurs avec qui j’ai déjà collaboré me demandent de leur écrire un histoire autour d’un thème ou d’une genre sur lequel ils sont envie de travailler ; c’est le cas avec Francis Porcel, par exemple. Après Pinard de guerre et Bagnard de guerre, nous allons publier Air, dans un registre complètement différent.

Hughes Labiano « Quelque chose de froid »

« Air » de Porcel

Revenons à « l’Ecluse ». Dès la couverture, on remarque une allusion à Notre Dame de Paris avec la position d’Octave et de Fanette qui n’est pas sans rappeler celle de Quasimodo portant Esmeralda dans le film de Jean Delannoy. Vous mettez en scène également un trio amoureux : Octave/ Fanette et Gaston ( Phoebus ?). Par ailleurs vous citez aussi Jacques Brel en mettant en citation un extrait de sa chanson « L’éclusier » et en appelant votre héroïne Fanette en référence à la chanson éponyme. Vous lancez un jeu de piste au lecteur ?

Toutes mes histoires sont des jeux de piste, et j’y tiens. Il y a beaucoup de références cachées, des « Easter eggs », et l’onomastique y est très importante: aucun nom n’est le fruit du hasard. Tout cela ne nuit pas à la fluidité de l’ensemble, mais le lecteur un peu curieux peut essayer de dénicher et de décortiquer les symboles. Dans L’Ecluse, le nom du personnage principal, Octave, n’est pas innocent : l’octave de Pâques est la période de huit jours qui sépare le dimanche de Pâques de la fête de la Quasimodo. L’écluse est sa cathédrale, Fanette son Esmeralda (et oui pour la référence à Brel !). Et pour Octave, il valait mieux s’inspirer de Delannoy ou de Charles Laughton que de Walt Disney.

De même, vous partez d’une trame assez classique : des meurtres, un village clos, des enquêteurs étrangers venus de la ville, des personnages presque caricaturaux et vous arrivez pourtant à surprendre le lecteur… Vous aimez les nouvelles à chute ?

Oui ! Un écrivain a plusieurs moyens à sa disposition pour surprendre le lecteur. Il ne s’agit pas de le manipuler le lecteur (quoique…) mais de l’amener là où l’on veut. Dans « les chats », le narrateur homodiégétique, c’est-à-dire celui qui raconte une histoire dont il est le héros, en est le parfait exemple : le lecteur, qui accorde sa confiance au narrateur, est obligé de croire ce qu’on lui raconte, un peu à la manière de Verbal Kint dans le film The Usual Suspects.

Après Hugo et Brel, peut-on dire qu’il y a aussi du Giono dans « L’Ecluse » ?

Oui, absolument. Giono était un pacifiste convaincu traumatisé par la guerre de 14-18. C’était à la fois un pessimiste et un humaniste, un anti-Pagnol par excellence. Ses œuvres décrivent souvent une violence inattendue qui fait irruption dans un monde qui n’est pas préparé à la recevoir.

Quasiment tous vos albums ont un substrat historique et ce dernier n’y fait pas exception. Vous êtes-sûr que vous n’auriez pas préféré enseigner l’Histoire plutôt que l’Anglais ? Pourquoi une telle attention au contexte ?

J’ai un parcours assez sinueux ; après un bac scientifique, j’ai opté pour la médecine et la biologie, avant de me diriger vers l’enseignement. Et oui, j’ai pas mal hésité entre l’anglais et l’histoire. Quant au contexte historique, j’aime à citer cette phrase de Marc Bloch, qui décrit l’historien comme un juge d’instruction qui mène une vaste enquête sur le passé, mais dont les témoins ont la mémoire défaillante. A moi de la leur faire retrouver. Et comme l’écrivait Dumas, on peut violer l’histoire à condition de lui faire de beaux enfants.

Enfin, pour terminer pourriez-vous nous dire quels sont vos prochains projets ?

Noir Horizon (avec Benjamin Blasco) et Quelque chose de froid (avec Labiano) chez Glénat, Air avec Porcel chez Grand Angle, Ceux qui n’existaient plus, un thriller avec Olivier Mangin, toujours chez Grand Angle, Neuf (dessins Guénaël Grabowski) et Six (avec Casado) chez Dargaud. Sans oublier le tome 2 de L’Enfer pour aube chez Soleil et La chambre des merveilles qui sort à la fin du mois !

Noir horizon

Un grand merci pour votre concours et à bientôt sur Bulles2Dupondt !

Interview d’Anne-Laure Gheno (Bd Otaku)

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