Expo Jean-Marc Rochette


Expo Jean-Marc Rochette
Galerie éphémère Momie Grenoble
jusqu’au 31 décembre 2022

 » Je crois que Nietzche disait « sans la musique , la vie serait une erreur ». J’affirmerais la même chose avec la montagne : sans la montagne, la terre serait une erreur. C’est mon viatique« 

(JM Rochette, entretien avec Rebecca Manzoni , « Vertiges », Maghen 2020)

Jean-Marc Rochette qui se destinait à devenir guide de haute montagne avant un terrible accident, s’intéresse très tôt à l’art en découvrant « Le bœuf écorché » (1925), de Chaïm Soutine, au Musée de Grenoble. Il retient « ce bleu, ce rouge, ces éclats de jaune et cette matière qui danse dans tous les coins ». Quelques années plus tard, il se passionne au lycée pour les expressionnistes allemands ( Otto Dix, George Grosz, Fritz Bleyl, Baselitz , Beckmann ou plus récemment Kippenberger), rencontre le travail de l’abbé Laurent Guétal ou celui de Corot ainsi que Fautrier. Aujourd’hui encore, Rochette reste attaché à ces grands maîtres qui ont influencé son travail lorsqu’il a décidé de troquer finalement piolet et crampons contre gomme et crayons. Exposé à vingt ans au Musée de Grenoble, il délaisse un temps son art pour la bande dessinée, quitte la montagne, sa famille, ses amis et s’installe à Paris. Puis, ayant l’impression d’étouffer quelque peu, il va se ressourcer en s’installant à Berlin berceau de son cher expressionisme en 2008 et se consacre à la peinture grand format et plus particulièrement à celle de « ses » montagnes dans un style presque abstrait. Il revient sept ans plus tard habiter dans le Massif des Écrins qui va nourrir son inspiration tant pour le 7e que le 9 e art.

Cette exposition rétrospective qui se tient à la galerie éphémère de la librairie Momie à Grenoble jusqu’au 31 décembre s’arrête sur son œuvre d’artiste depuis son retour dans le Vénéon à travers trois focus :

-Des planches originales de ce qu’il nomme lui-même sa « trilogie montagnarde », ses albums parus aux éditions Casterman entre 2019 et 2022 : « Ailefroide. Altitude 3954 », récit autobiographique et saisissant d’ascensions ; « Le Loup », une fable écologique qui se situe une fois de plus dans le massif des Écrins, et dans laquelle il dépeint les face à face d’un berger et d’un loup et enfin « La Dernière reine », son dernier roman graphique qui se déroule dans le Vercors et à Paris sur plusieurs époques.

– Des croquis et des fusains de la faune locale que l’on peut retrouver dans son ouvrage édité par la maison « les étages » qu’il a fondée avec sa compagne et qui s’y trouvent accompagnés de poèmes en prose écrits par Rochette lui-même ainsi que des sculptures animalières qui poursuivent ce travail ou bien ont accompagné l’élaboration de « La dernière Reine ».

-Des huiles et aquarelles des cimes et lacs alpins, paysages éthérés où le ciel et la roche se mélangent et se fondent dans la lumière présentés en vis-à-vis de nus dont on ne voit pas le visage et quasi minéraux.

Une quarantaine de pièces inédites (sculptures, lavis, céramiques, gouaches) crées de 2010 à 2022 côtoient les planches de bande dessinées et les huiles et aquarelles de paysages, dans un dialogue unique.

BANDE DESSINÉE  : LA TRILOGIE MONTAGNARDE

AILEFROIDE (2017)

LE LOUP

la dernière reine

ILLUSTRATIONS ET SCULPTURES  : « BESTIAIRE DES ALPES »

« J’ai la chance de vivre dans la vallée du Vénéon, au cœur du parc national des Écrins, une des dernières oasis de vie où les animaux peuvent évoluer relativement librement, dans un milieu encore un peu protégé de la pression humaine. Ce bestiaire est centré sur les animaux que je côtoie, ceux qui entourent ma demeure, mes plus proches voisins en quelque sorte. »

Les dessins noir et blanc, format panoramique que l’on découvre ci-dessus, sont  à la base d’une séquence d’un récit filmé, « Le pacte du loup » dans lequel le photographe animalier Jérémie Villet narre sa rencontre avec un grand loup blanc, dans le Yukon (NDLR : Le film devrait être diffusé en décembre, sur France 2).

Les sculptures en terre cuite de JM Rochette, semblant droit sorties de «La dernière reine » ont été magnifiquement émaillées, par Julie une potière de Venosc qui s’appelle … Sauvage comme l’héroïne du roman graphique.

L’auteur s’essaie aussi à la peinture sur céramique sur des plats peints au bleu de cobalt. Ces dessins sont inspirés des lavis recueillis dans le Bestiaire, comme croqués sur le vif, ils surprennent les animaux dans leurs postures de chasse, de guet, leurs attaques, leurs jeux, ou leurs envols.

Focus sur la dernière reine

PEINTURES : DES CORPS ET DES MONTS, DÉCORS ET DÉMONS

Mais ce qui capte véritablement l’œil du spectateur (et pas seulement parce que certaines toiles sont monumentales, mais plutôt grâce à l’éclat qui s’en dégage) ce sont ses peintures de corps et paysages telles celles que l’on trouvait déjà dans « Vertiges ». Pour l’auteur, comme il le confesse dans « Manifeste pour peindre le bleu du ciel » :

« Peindre un paysage, peindre un corps, c’est exactement pareil. La seule différence c’est que, dans un corps, il y a une animalité directe, une excitation, un rapport érotique immédiat. Dans la montagne, c’est une excitation mentale, mais elle est pour moi du même ordre : il y a un rapport de masses, de courbes, à la fois une violence et une harmonie, en tous cas une très forte érotisation du réel ». 

Et la confrontation des deux est très troublante.

« Quand tu dis « ciel », tu as tendance à penser « léger». Quand tu dis « montagne » tu penses « lourd ». Mais il arrive que ce soit l’inverse ! Il y a des moments où les montagnes sont pleines de lumière, elles sont légères et c’est le ciel qui appuie dessus avec son bleu sombre »

affirme l’artiste dans « Vertiges ».

Dans les peintures de Rochette, les flancs sombres des montagnes de l’Oisans, taillés à coup de pinceau, tranchent aussi avec les brumes évanescentes qui coulent sur les versants ou noient les cieux de douceur. Rochette a un vrai talent pour saisir la fragilité de l’instant et la fugacité de la lumière qui joue aussi sur les chairs des corps. Sa palette est très sobre et limitée mais tellement vivante ! Il travaille sans cesse le bleu de ses cieux qu’il associe au noir et au blanc et fait ressortir la carnation moirée d’un corps de femme en jouant avec le rose saumoné et le blanc sur fond noir. L’artiste déclare lui-même dans ses « Conversations avec Fabrice Gabriel » :

« Lorsque je réalise un portrait, je guette une explosion, ou quelque chose de cet ordre qu’on pourrait appeler aussi une illumination. Peindre un visage, un corps, un paysage de montagne, c’est toujours pour moi se confronter au mystère de l’incarnation. Je ne veux pas être un peintre « matérialiste », même si je ne peins pas de pieta. »

Et la ferveur est réelle…

Interrogé dans « Télérama » sur les différences entre la Bd et la peinture, Rochette a ces mots :

« La BD, c’est de la narration. Ça commence par une belle histoire, une grande histoire et c’est avec elle que tu vas tenir les gens. Le dessin peut être minimaliste, si l’histoire est prenante, cela ne posera aucun problème, comme dans « In Waves » d’Al Jungo par exemple. La peinture à l’inverse, c’est de la poésie pure, zéro narration, l’émotion sur une seule image. C’est un peu comme la distance entre la poésie et le roman, en plus éloigné encore puisque en poésie il y a des mots qui s’accolent et qui font sens. En peinture il n’y a pas de sens, juste une mystique du réel. Tu es devant un paysage et c’est trop compliqué pour le décrire avec des mots, donc tu peins.« 

Cette exposition aurait pu tout comme l’avant-dernière à Grenoble s’intituler « JM Rochette, un artiste au sommet » : on y trouve à la fois maîtrise et lâcher prise, romans (graphiques), poésies picturales mais également de superbes sculptures et surtout un feu d’artifice d’émotions et de beauté ! Dans sa peinture, sa sculpture et ses bandes dessinées , il « rend grâce à la beauté du monde » et réalise ainsi «  son ambition de toujours » en peignant dans toutes ces formes « la chair du monde ». A ne pas manquer si vous êtes dans la région  (ou également pour paraphraser un certain CDG « si vous veniez à vous y trouver » !)

Texte et photos Anne-Laure GHENO

(Bd Otaku)

POUR ALLER PLUS LOIN

La trilogie montagnarde

Ailefroide (2018)

Le Loup (2020)

La dernière reine (2022)

Le livre publié par sa maison d’édition « les Étages » :

Bestiaire des Alpes (2021), Les Étages.

22 dessins naturalistes au lavis et textes inédits, complétés d’aquarelles de paysages de l’Oisans.

Format à l’italienne 250×210 mm.

Les livres sur la peinture de Rochette  dont sont extraites les citations de l’article :

Vertiges, Maghen (2020)

Long entretien avec Rebecca Manzoni

Reproductions de planches originales du Transperceneige, Ailefroide et le Loup, paysages, toiles pour le film de Bong Joon-Ho

Manifeste pour peindre le bleu du ciel, conversations avec Fabrice Gabriel

collection « paysage écrits »

éditions Paulsen (2020)

Le livre « Manifeste pour peindre le bleu du ciel », assorti de vingt-sept très belles reproductions de tableaux, est issu de conversations entre Jean-Marc Rochette et Fabrice Gabriel. Il raconte, en filigrane, la renaissance d’un homme : à 50 ans, alors qu’il était déjà une légende de la bande dessinée, Jean-Marc Rochette s’est établi à Berlin, dans un atelier de la Seestrasse, dans l’espoir de se mesurer à son idéal ultime et de devenir un peintre. Mais cette quête initiatique se redouble d’un projet : pour Jean-Marc Rochette, l’art n’est jamais aussi essentiel ni si élevé que lorsqu’il nous restitue quelque chose de la beauté de la nature. Le nec plus ultra, pour le peintre Rochette qu’inspirent Soutine et Fautrier ? Réussir à faire le portrait d’une montagne ou à saisir la qualité particulière du bleu du ciel au-dessus des cimes.

Cliquez sur l’image pour découvrir l’article

Chronique « la dernière reine »
L’interview de JM Rochette
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