Kiss the sky

Scénario : Jean-Michel Dupont
Dessin : Mezzo
Éditeur : Glénat
88 pages
Prix : 24,50 €
Parution : 19 octobre 2022
ISBN 9782344030233
Ce qu’en dit l’éditeur
Avant de devenir le plus célèbre guitariste de tous lestemps, Jimi Hendrix fut un gamin laminé par une enfance à la Dickens puis un obscur musicien au parcours semé de galères et d’humiliations. C’est cette part sombre de sa vie et sa soif désespérée de reconnaissance que raconte cette première partie du portrait intime que lui consacrent Mezzo et JM Dupont, auteurs du remarqué Love in Vain.
Entre lyrisme et réalisme, ce récit explore non seulement l’âme tourmentée de la future rock star mais aussi toutes les étapes d’un itinéraire musical méconnu qui lui a fait croiser, au cours de son apprentissage, des artistes de légende comme Little Richard, Ike & TinaTurner, BB King, Curtis Mayfield, Sam Cooke, Wilson Pickett, Bob Dylan et les Rolling Stones.
Ils nous avaient déjà ébloui avec leur Love in vain … Ils récidivent pour notre plus grand plaisir avec Kiss the sky, album élégant et passionnant, premier opus d’un diptyque consacré à Jimi Hendrix paru aux éditions Glénat. Jean-Michel Dupont a repris sa plume et Mezzo son pinceau pour nous livrer non seulement le portrait de Jimmy avant qu’il ne devienne Jimi, mais aussi celui d’une époque en pleine mutation à la scène musicale foisonnante.
De la naissance à la reconnaissance
Le choix d’un diptyque met judicieusement en évidence le passage de Jimi Hendrix de l’ombre à la lumière graphiquement parlant en passant du noir et blanc à la couleur. Le premier volet black and white est consacré à son enfance misérable et malheureuse, aux galères de ses débuts, aux traumatismes que tout cela va engendrer jusqu’à ce qu’il s’envole pour Londres pour y connaître la consécration, en devenant le mythique guitar hero que l’on connaît.
"Depuis la matrice de ma mère [...] Je regarde ce qui m’attend par la lucarne de son nombril [...] Et j’ai comme l’impression de ne pas être le bienvenu ...."

La première planche, percutante tant dans son propos s’inspirant des paroles de Belly bottom que dans son traitement graphique avec cette magistrale mis en abyme du deuxième strip, annonce la couleur en nous faisant d’emblée pénétrer dans la psyché tourmentée de Jimi Hendrix.
Dickens à Seattle : l’enfance de Jimmy
Le jeune Jimmy a connu une enfance très difficile au sein une famille dysfonctionnelle. Rien ne lui a été épargné : Une mère fantasque, volage et alcoolique ne cessant de partir et revenir au foyer, si toutefois on peut appeler ça un foyer, un père violent à ses heures, fuyant ses responsabilités, une fratrie disséminée dans des familles d’accueil …


En manque d’affection, il trouvera un peu de réconfort épisodiquement auprès de sa grand-mère paternelle, descendante de princesse cherokee. Nourri des légendes racontées par sa grand-mère, passionné d’astronomie, il va également trouver refuge dans le monde fictionnel des super-héros de DC Comics et Marvel et la SF. Échappant au réel, il se forgera ainsi son propre imaginaire qui nourrira son œuvre à venir. Autre élément vital : la musique aussi depuis ce choc à l’écoute d’un disque de Muddy Waters. Sa première guitare sera sa planche de salut…
Et voguent les galères
La suite ? Ce sera un parcours d’une dizaine d’années, fait d’humiliations, d’actes manqués et de malchance jusqu’au jour où …
Sa pugnacité, son besoin désespéré de reconnaissance, sa volonté de réussir, son travail acharné feront qu’il ne lâchera rien. Premières amours, premiers excès, ses rapports avec les femmes, des bas plutôt que des hauts, il ne contrôle rien si ce n’est son instrument avec lequel il fait corps, en recherche perpétuelle de nouveaux sons …
Dans la veine de Love in vain
Kiss the sky peut être considéré comme le deuxième volet d’un diptyque qui s’inscrirait dans la continuité de Love in vain, leur précédent album paru en 2014. Continuité dans le propos, Love in vain étant le portrait de Robert Johnson, autre guitariste mythique mais de blues cette fois disparu au même âge que Jimi Hendrix, et comme lui un bosseur acharné. Continuité graphique également, continuité dans le choix d’un titre faisant référence à une chanson, continuité dans l’élaboration de la maquette ainsi que dans le procédé narratif avec cette mystérieuse voix off dont on devinait assez rapidement la provenance dans Love in vain, ce qui n’est pas le cas pour Kiss the sky. Malgré les indices distillés, à la fin de l’album, on reste sur notre faim. Il nous faudra attendre le deuxième volet pour savoir qui est le mystérieux narrateur. Suspense …
Pourquoi avoir choisi ce procédé de narration ?
JMD, puis Mezzo
Les raconteurs d’histoire
Amis de longue date, partageant une même passion pour la musique, musiciens eux mêmes comme on peut l’entendre dans la bande annonce (Jean-Michel Dupont à la guitare et Mezzo à la basse) le scénariste et le dessinateur se définissent eux mêmes comme des raconteurs d’histoire : l’un avec des mots, l’autre avec des dessins. Pour raconter cette vie hors du commun, pas question de faire une simple biographie. Il leur fallait coller à la réalité non seulement du personnage mais également de l’époque et des lieux sans pour autant négliger le côté onirique et fantastique liés à la personnalité même de Jimi. Ils se sont plongés dans la documentation, le scénariste ayant pour tâche de trouver le tempo et d’en tirer la substantifique moelle, que Mezzo avec le talent qu’on lui connaît « va sublimer de son trait avec sa sensibilité» en nous plongeant dans les ambiances, faisant jaillir l’émotion.
Leur collaboration : De la documentation à la narration
JMD
Mezzo
Les difficultés liées au biopic
La chronique d’une époque
Il fallait intégrer l’époque dans le récit, donner des repères spatio-temporels au lecteur sans pour autant alourdir le propos et nuire à la fluidité du récit. Le procédé utilisé fait le job : S’inspirant de la street photography, les deux auteurs ont recréé l’époque à travers une reproduction fidèle des lieux (tels les mythiques Apollo et Café Wha?, bien sûr)…




… mais aussi à travers les journaux, à travers la radio, à travers la télé, à travers les affiches ne serait-ce que les 3 affiches qu’on a dans la chambre de Jimi Hendrix …



Situer les scènes dans l’espace et dans le temps
Un procédé utilisé dans la street photography
Imprimer les rétines et le cerveau du lecteur
Toute la musique qu’ils aiment …
La lecture de l’album s’effectue au rythme des morceaux dont on retrouve d’ailleurs la playlist en fin d’ouvrage. Au fil des concerts, des tournées, Jimi va accompagner de nombreux musiciens qui eux se trouvaient en haut de l’affiche. Aussi, Kiss the sky brosse-t-il également le tableau de la scène musicale des années 60, cette époque où le chanteur était roi et les musiciens, simples faire-valoir étaient à la merci de ses caprices voire de sa jalousie. Mais Jimi lui, faisant corps avec sa guitare, ne l’entendait pas de cette oreille et comptait bien occuper de devant de la scène. Alors déjà, il montait l’ampli … ce qui n’était pas du goût de tout le monde…

En filigrane, on découvre aussi que les groupes anglais, n’hésitaient pas vampiriser la musique américaine et reprenant certains titres, se les appropriaient et obtenaient plus de succès auprès du public américain que les chanteurs d’origine.

C’est le cas notamment d’Have mercy une chanson de Don Corvey avec Jimi Hendrix à la guitare reprise à l’intonation près par Mick Jagger et les Stones. Paradoxalement, c’est grâce l’immense succès rencontré auprès du public britannique que Jimi Hendrix deviendra enfin prophète en son pays.

Mezzo, « le plus américain des dessinateurs français«
En BD, il y a la ligne claire (Signalons en passant que Joost Swarte qui est à l’origine de cette définition du style d’Hergé est le lauréat du Grand Boum de la ville de Blois 2022) mais aussi la ligne noire. Mezzo est aujourd’hui considéré comme le chef de file pour l’Europe de ce mouvement graphique.
Qu’est-ce que la ligne noire? Les influences de Mezzo
Et quoi de mieux que la puissance du noir et blanc de Mezzo, son utilisation de la lumière et son sens du détail qui fait que tout sonne juste, pour sublimer le récit, créer des ambiances et nous immerger totalement dans l’histoire ?
Il a également introduit progressivement des nuances de gris, notamment dans les différentes textures des vêtements : on va avoir des imprimés, des chevrons … et également dans des passages plus oniriques ou fantastiques.

Pourquoi cette entorse à sa pratique habituelle ?
Vers la couleur
Le deuxième volet du diptyque couvrira la courte période londonienne et Swinging London, pop art et psychédélisme obligent, sera lui en couleurs.
Les pistes sur lesquelles les auteurs planchent
« Y’a rien de plus beau qu’un livre«
Pour Mezzo, également graphiste, le soin apporté à la maquette est primordial. D’ailleurs lui-même se dit meilleur maquettiste que dessinateur. Comme Jean-Michel Dupont, il pense que la forme doit être en totale adéquation avec le fond. Et c’est bien le cas ici. Le titre tiré de Purple haze, ne pouvait être que violet tout comme le dos toilé et la tranche de l’album.
Le format carré est une référence évidente au vinyle. Alors que c’est un format peu utilisé en BD, Mezzo l’a toutefois déjà pratiqué à trois reprises pour dans Mickey, Mickey , Un monde étrange et Deux tueurs avec Pirus au scénario.
Les contraintes graphiques du format carré

Au niveau des pages de garde aussi la forme rejoint le fond avec ces pages de garde représentant le cosmos et on sait l’importance du cosmos pour Jimi Hendrix …
Les pages de garde

Et j’ai gardé le meilleur pour la fin : la magnifique couverture classieuse où la polysémie de l’image dialogue avec la polysémie du titre.
L’image parfaite

Kiss the sky est un album d’une très grande richesse scénaristique et graphique dans lequel deux passionnés nous dressent le portait passionnant d’une époque et d’un destin hors du commun qui a révolutionné l’histoire du rock.
Les propos de Jean-Michel Dupont et Mezzo sont tirés de l’entretien réalisé le dimanche 20 novembre 2022 au festival bd BOUM à Blois.
pour alLer plus loin
Leur première collaboration


Les pages de garde

