Interview Jean-Michel Dupont & Mezzo


INTERVIEW DE JEAN-MICHEL DUPONT & MEZZO

à bd BOUM Blois

(20 Novembre 2022)

Bonjour Jean-Michel Dupont et Mezzo

Je suis ravie de vous rencontrer dans le cadre du festival bd BOUM afin d’échanger autour de Kiss the sky qui vient de paraître aux éditions Glénat. Vous avez une passion commune, la musique et c’est là votre deuxième collaboration, dans le domaine de la bd s’entend. Kiss the sky peut être considéré comme le deuxième volet d’un diptyque qui s’inscrirait dans la continuité de Love in vain, votre précédent album paru en 2014. Continuité dans le propos, Love in vain étant le portrait de Robert Johnson, autre guitariste mythique mais de blues cette fois disparu au même âge que Jimi Hendrix, et comme lui un bosseur acharné. Continuité également graphiquement, dans l’élaboration de la maquette ainsi que dans le procédé narratif avec cette mystérieuse voix off dont on devinait assez rapidement la provenance dans Love in vain, ce qui n’est pas le cas pour Kiss the sky. Malgré les indices distillés, à la fin de l’album, on reste sur notre faim.

Pourquoi avoir choisi ce procédé de narration ?

JMD : Le procédé de narration … déjà, l’avoir choisi, c’est pour garder une continuité. Comme c’est un peu un diptyque, comme vous l’avez dit, c’est bien que ces deux livres se répondent et aient une cohérence et donc le procédé de narration du narrateur mystère du coup, moi, scénariste, je me suis dit que c’était bien de le poursuivre. Et après, d’une manière plus générale, pourquoi avoir un narrateur mystère ? Déjà, un narrateur incarné qui soit un personnage, c’est parce que le fait que ce soit un personnage donne plus de vie à la narration, permet d’avoir un point de vue subjectif, de ne pas avoir une narration qui soit neutre mais une narration subjective où la narration elle-même donne un point de vue sur l’histoire, sur le personnage, en l’occurrence Hendrix, ou d’autres personnages, sur l’époque aussi, puisque le narrateur est quelqu’un qui vit dans l’époque et qui est lui-même impliqué dans l’époque. Donc tout ça, ça donne de la chair, de la vie à la narration. Pourquoi un narrateur mystère ? C’est aussi parce que d’un point de vue dramatique, c’est intéressant parce que ça donne une petite tension : c’est à dire que si on arrive à installer le fait que les gens se posent la question – il faut d’abord les intéresser peut-être qu’ils s’en moquent un peu – mais si ça les intéresse et généralement ça a l’air d’être le cas, tout en lisant l’histoire de Jimmy Hendrix, en suivant son parcours, et en suivant l’histoire en général de tout ce qui se passe, ils ont dans un coin de leur tête cette petite question qu’ils se posent tout le temps. C’est aussi là purement de la stratégie scénaristique : maintenir cette petite tension, « Mais qui c’est? qui c’est? qui c’est? ». Il y a des piqûres de rappel en permanence. Le narrateur disparait; il apparait d’ailleurs qu’au bout d’une vingtaine de pages, je crois .. mais il n’ apparait pas tout de suite. Tout à coup, on se dit « tiens, en fait, il existe ce narrateur! » et puis après il y a des petites piqûres et tout ça, ça envoie une petite tension, comme ça, pour faire fonctionner l’histoire.

M : C’est aussi le deuxième fil rouge. Le premier fil rouge, c’est Jimi qui évolue et le deuxième fil rouge qui tient en fait le récit comme un collier de perles, c’est le narrateur. Il y a un petit mystère en plus, il y a une histoire dans l’histoire.

Alors, vous l’avez dit, Kiss the sky c’est le portrait de Jimi Hendrix, bien sûr, personnage hautement romanesque, mais c’est aussi celui d’une époque : le Seattle des années 40-50, le milieu musical des années 50-60 à travers les clubs, les concerts et le Chitlin’ Circuit, ces fameuses tournées de concerts au cours desquelles les musiciens étaient jetables à merci.

Outre les sources citées en fin d’album : livres, films, web … êtes-vous également allés sur place, avez-vous rencontré des gens qui le connaissaient et comment avez-vous fait à partir de cette documentation assez monumentale pour tirer vos fils narratifs ?

JMD : Aller sur place, moi je n’y suis pas allé, ni Mezzo pour ce travail-là mais je suis allé deux fois dans le Mississippi, aussi dans le Tennessee, à Memphis, en Louisiane et Mezzo est venu dans le Mississippi aussi dans le cadre d’un autre projet donc on connaît un peu l’univers du sud des États-Unis et aussi des clubs de musique, des musiciens etc … C’est quelque chose, en tout cas à notre époque, c’est une chose à laquelle on est un peu familier.

Mais toute l’information qu’on traite dans ce bouquin n’est pas une information issue d’un travail d’historien ou de musicologue qu’on aurait fait, parce que ce n’est pas notre but. Nous, on est les gens qui racontons des histoires, Mezzo en images, en dessins et moi avec un scénario et avec des textes. Nous, on est des raconteurs d’histoires et on essaie de raconter des histoires qui ont du sens aussi et d’aller au fond des personnages et ce n’est pas notre boulot d’enquêter. Quand on enquête, c’est plutôt, pour moi, de la recherche de documentation, d’essayer de trouver les informations.

Et après mon travail c’est de trier dans les informations – la multitude en l’occurrence pour Hendrix d’informations qui existent – de voir ce qui est intéressant pour fabriquer un portrait. L’idée, c’est de fabriquer un portrait d’un personnage, enfin d’un homme, mais aussi de son époque, de l’univers dans lequel il évoluait, et donc pour faire ce portrait on a besoin [de juxtaposer] comme des touches de couleurs. Donc moi je fais ma petite mayonnaise, ma petite cuisine, comme une soupe, comme un plat : je prends mes ingrédients, je dis « tiens ça, ça va me servir » et puis après je fais mon récit. Un des ingrédients qui reste important est « est-ce que cet élément là va être intéressant visuellement? est-ce qu’il va résonner? » parce qu’il faut penser à ça aussi. Il y a des choses qu’on doit montrer pour le récit et puis des choses qui sont super bien parce que le dessinateur, lui, va pouvoir s’exprimer pleinement. Pour moi tout ça c’est des éléments qui entrent en ligne de compte. Je fais mon récit, après on voit ça avec Mezzo. On en reparle et lui se l’approprie et lui donne vie. Moi, je donne quelque chose qui est un peu mort, qui n’est pas mort parce que c’est vivant, c’est de l’écrit mais ce n’est pas vivant comme de la littérature peut être vivante. Un script, un scénario, c’est un peu vivant mais pas complètement. Il faut que quelqu’un arrive avec son crayon ou sa petite baguette magique et son crayon et donne vie à tout ça. Et c’est là qu’il intervient et ça ne peut exister que comme ça et il va sublimer les choses, en plus de son trait, avec sa sensibilité.

M: Pour ma part, je n’étais pas encore allé dans le Mississippi. Ça s’est passé après et j’ai été surpris d’avoir été finalement aussi juste d’une certaine manière. Mais en fait, maintenant, on a des documents et quand on écoute du blues, on ressent toute cette atmosphère de toute façon. Donc finalement le dessin, c’est la traduction évidemment du scénario mais c’est la traduction aussi de ce que j’écoute et des émotions que j’ai en écoutant le blues. Donc forcément … Les paysages du Mississippi sont très simples, ils sont plats. Je suis allé regarder, j’ai googlisé un tout petit peu tout ça. Alors évidemment maintenant c’est des carrefours modernes avec des villes modernes mais les villes n’ont pas tellement changé. Clarksdale, on y est allé ; c’est un peu resté un peu gelé comme ça, figé dans le temps et puis en plus les atmosphères de bar, tout ça, moi j’ai l’habitude de dire que c’est les mêmes partout dans le monde. Si vous mettez plusieurs personnes bourrées dans un bar à deux heures du matin, on se dit les mêmes choses de Tombouctou à Seattle en passant par Paris et nous on a effectivement beaucoup fréquenté les bars et vécu ces trucs-là. Et les ambiances de concert, c’est la même chose […] Surtout moi, je suis de petite taille, alors dans les concerts je morfle un peu. J’ai toujours des dos donc c’est pour ça qu’il y a souvent des dos assez gigantesques dans mes cases. Mais c’est la sensation de foule, de chaleur, et c’est ce qui fait peut-être entendre – certaines personnes disent qu’en lisant le livre elles entendent la musique – eh bien c’est là que je me dis que c’est réussi au niveau émotionnel en tout cas. Et c’est tout. C’est que des émotions, le dessin. Enfin, il y a quelque chose d’intelligent on va dire, d’intelligible mais ça doit rester dans l’émotion ainsi que l’écriture; alors l’écriture est plus, comme dit Jean-Michel, – il n’a pas écrit un roman, il ne m’a pas mis un roman dans les pattes – des indications assez précises qui font que je vais avoir une vision de cette scène-là. Il me disait  « voilà : il y a tel et tel personnage à tel endroit, il se passe ça entre les personnages et comment tu vas montrer ça, vas-y« . Donc après, je fais le crayonné, je fais un crayonné senti, je lui envoie, on fait des allers et retours évidemment constamment. Jean-Michel, s’il trouve ça bien, il le dit. S’il y a un truc qui le gêne, il ose me le dire, y’a pas de problème ; on se connaît assez bien pour ça, on ne va pas prendre des pincettes et moi de même pour lui. On peut remettre en question notre boulot sans pour cela se fâcher. De toute façon, ce n’est pas le moment : on a encore un bouquin à faire, donc (rires) …

Peut-être même après, peut-être même un troisième …

M : Sur la musique on ne pense pas.

JMD: Sur la musique, non.

M : Je pense qu’on a fait le tour avec les deux personnages.

JMD: Et sur le portrait ou sur le biopic, biographie peut importe comment on appelle ça. Je suis en train de travailler sur un projet en ce moment avec un autre dessinateur; je suis content de de le faire mais après j’arrête. Et si on retravaille après Hendrix, si on veut retravailler ensemble, moi je serais beaucoup plus intéressé pour retravailler sur une fiction. Ce serait une expérience.

M: Oui, moi aussi. J’ai beaucoup aimé le livre qu’il a écrit sur les Ch’tis, la rencontre des Ch’tis et puis des indiens avec Eddy Vaccaro. Les gueules rouges, ça s’appelle Les gueules rouges. C’est un très joli bouquin et j’aurais vraiment aimé – y a des regrets des fois – j’aurais aimé le dessiner. Bon après, ça s’est fait avec Eddy et c’est très très bien. Donc oui, j’ai envie de revenir vers la fiction.

Vers la fiction donc, tous les 2 …

JMD: Oui oui, pour plein de raisons. D’abord parce que quand on travaille avec quelqu’un, au bout d’un moment, on a fait un peu le tour d’un mode de collaboration de travail et donc c’est intéressant d’explorer d’autres formes donc notamment la fiction ; et aussi pour une question de temps parce qu’on passe énormément de temps quand on travaille ce genre de sujet tous les deux à être le plus juste possible au niveau des informations, des décors. Tout ça c’est passionnant parce que ça nous permet de découvrir des univers qu’en plus on aime bien ou d’approfondir mais c’est du temps qu’on ne passe pas à travailler sur un récit ou même simplement du temps qu’on ne passe pas à faire autre chose dans la vie. Ça nous prend trop de temps…

M : Alors pourquoi un biopic – ou un portrait comme on aime dire – c’est plus compliqué qu’une fiction, pour moi ? À mon avis – c’est vraiment personnel – c’est que, en fait, il faut quand même être lyrique et faire rêver les gens avec la vérité. Et donc la vérité finalement, ça a été long pour Jean-Michel de réunir tous les docs et de les mettre en forme pour que ça forme un arc narratif, ça c’est le boulot du scénariste. Et après, moi je viens dessus et en fait mon dessin est très détaillé – c’est ce qu’on pourrait me dire quand on le voit – parce que j’ai un souci de vérité, ON a un souci de vérité, de coller à l’époque, voilà. Et ça c’est très chronophage et fatigant. En fait, c’est un peu un livre historique sur les années 60 finalement. On va pas dire historique, c’est restrictif. C’est une chronique, une chronique des années 60. [JMD : C’est la chronique d’une époque]. Et là, il y a un souci de vérité et il faut vérifier à chaque fois. En plus c’est doublé d’une icône puisque c’est une icône qui est le centre de cette histoire, Hendrix, qui ne jouait pas avec n’importe quelle guitare à tel moment, donc il faut être juste, il faut trouver la guitare du moment et ça, les recherches de Jean-Michel plus les miennes, ça nous a pris un temps fou alors que dans une fiction, – évidemment il a le talent pour trouver l’histoire – une fois qu’il écrit l’histoire, là on s’arrange avec ce qu’on a envie de faire. Moi je vais inventer des personnages donc je vais les tenir beaucoup plus vite. Je ne suis obligé à chaque fois de prendre le portrait de Jimi et d’apprendre à le dessiner par cœur. Je vais inventer les personnages donc ça rentre plus vite dans ma mémoire. On s’arrange avec les problèmes qu’on rencontre ou dans le scénario ou dans le dessin, c’est plus simple en tout cas et ça prend moins de temps.

Justement j’ai trouvé que vous avez une façon très très subtile de faire passer l’époque à travers les journaux qu’on voit par moments qui rappellent la guerre avec le Japon… à travers la radio, à travers la télé, à travers les affiches, ne serait-ce que les 3 affiches qu’on a dans la chambre de Jimi Hendrix. C’est disséminé tout au long comme çaet ça recrée vraiment l’époque.

M : Ça, c’est Jean-Michel, c’est un coup de Jean-Michel que je trouve très bien après coup, si je peux dire – après tu vas défendre ton truc puisque je parle de toi –. Au début, ça m’ennuyait parce que ça faisait des détails en plus. Je lui disais « mais où je vais la coller cette affiche ? » Parce qu’il me disait « tu mets une affiche pour signifier l’endroit, le timing et tout« . Et en fait, quand vous faites une composition, vous avez les personnages, il faut toujours laisser un endroit vide et ça occupe quand même pas mal de place, il faut que ça soit lisible. Et finalement je trouve ça très malin et c’est un procédé que je n’avais jamais utilisé puisque j’ai fait des fictions jusqu’ici et le procédé de Jean-Michel fonctionne super bien.

JMD: En fait l’idée, c’est de situer toujours les scènes dans l’espace et dans le temps ce qui est pratique avec ces époques-là et qu’on ne pourrait plus faire aujourd’hui, plus difficilement en tout cas. C’est qu’en fait, le décor, les décors publics, urbains, etc… étaient emplis de personnes qui lisaient des journaux. Maintenant, on serait obligé de faire un gros plan sur un portable. [M : Pourquoi pas ?] On pourrait, mais là ça deviendrait lourd parce que le procédé apparaîtrait. On serait obligé pour montrer qu’il y a une déclaration de guerre en Ukraine ou je ne sais pas quoi de montrer le gros plan. Alors que si on a, dans un fond de décor, un gars qui est en train de lire alors qu’on a en premier plan une scène avec Hendrix qui est en train de parler – même au premier plan, mais c’est un premier plan de mise en scène qui n’est pas la scène principale, Sam Cooke – à ce moment-là, ça nous permet de faire passer plein d’informations tout en restant extrêmement réalistes. Et même si les gens au bout d’un moment comprennent le procédé, ils comprennent le procédé mais ils l’apprécient. Ils disent pas …

M: La télévision pourrait jouer ce rôle là peut-être.

JMD: Alors, la télévision, oui.

M: Les écrans plats, les grands écrans plats quand on est en intérieur… y’a des infos à ce moment là. Même si ça n’a rien à voir avec la scène, là on peut montrer mais c’est vrai que ça pose un problème…

Là ce qu’il y a de bien , c’est la variété : on a la télé, on a la radio, on a les journaux, on a les affiches … autrement ça serait uniquement par les écrans …

M: J’adore les photos de Friedlander – je ne sais pas si vous connaissez – c’est un grand photographe de street américain. [JMD: Ils font ça]. Oui, ils font ça, ils font des intérieurs d’hôtel, de motel, avec des personnages un peu comme ça et il y a toujours une télé allumée … ou dans une vitrine y’a un marchand de télévisions et là vous voyez l’image de Nixon par exemple projetée en 12 et ça c’est des choses qui marquent.

JMD: Et il y aussi aux États-Unis, à cette époque là – ça continue, mais à cette époque là c’est plus présent parce que la presse était plus présente – ce qu’ils appellent les vending machines, les petites machines automatiques qui n’existent pas en France où on met une pièce, on soulève le truc, on prend son journal et y’a toujours une petite affichette. Dans la street photography, on voit souvent ça. Pourquoi ? Parce que ça situe l’époque. Donc, le procédé que moi j’utilise, j’ai rien inventé, d’autant qu’il est utilisé par les photographes, beaucoup sur toute cette époque mais dans le cinéma et surtout le cinéma américain, c’est extrêmement utilisé. C’est à dire qu’un décor, un élément de décor, une affiche, on passe devant un cinéma … on voit une affiche ça permet tout de suite de situer…

M: Y’a une vitrine aussi de vendeur … y’a des gens qui se rendent au boulot avec leur attaché case avec leur chapeau et en fait ils restent devant une vitrine qui vend des télévisions mais les télévisions sont branchées sur le journal donc ça multiplie. En plus, c’est vachement beau graphiquement. Et le mec il est là, il se rend au boulot, il a quelque chose à faire mais il s’arrête, il regarde la télé à travers la vitrine.

JMD: Je vais vous raconter … C’est l’histoire de la fameuse photo de Kubrick. C’est comme ça que Kubrick est devenu … Avant qu’il soit réalisateur, il a commencé à 17 ans à devenir photographe professionnel. Il est rentré dans la rédaction d’un magazine qui s’appelle Look qui était le concurrent direct de Time magazine qui était très connu à l’époque et qui marchait très bien. Après la mort de Roosevelt, il avait 17 ans, il est passé devant un kiosque. Il a vu partout sur le kiosque les affichettes et les journaux qui disaient que la nation était en deuil « c’est la mort de Roosevelt, etc… » et il y avait le kiosquier, un vieux gars avec un physique un peu intéressant qui était dans son kiosque. Et lui, contrairement à un street photographer, parce que c’était Kubrick et c’est pas le même esprit, alors qu’il aimait beaucoup la street photography, il a fabriqué une photo de street photographer. Il est allé voir le vendeur, il lui a proposé de le payer pour qu’il prenne la pose et après il lui a demandé de prendre la pose en étant triste, donc il a été triste, comme ça. Et donc la photo qui est mythique, qui est devenue très connue : on voit le gars qui est dans son kiosque, le vendeur, le marchand de journaux qui est entouré de toutes ses affiches, triste. Et du coup il est allé chez Look et le service photo. Ils lui ont dit : « C’est magnifique jeune homme, en une photo, vous avez réussi à synthétiser toute la douleur d’une nation ». Et donc ils ont publié la photo et à partir de là, ils l’ont embauché et Kubrick est devenu un photographe professionnel.

Tout ça pour dire que voilà, il y a l’instinct du photographe, ce que Mezzo aime beaucoup et moi aussi je partage aussi beaucoup, ce truc-là de voir les choses. Mais il y a aussi simplement cette idée que l’image en contenant des informations, certaines informations peut raconter quelque chose de manière beaucoup plus forte émotionnellement et même plus efficace, imprimer mieux la mémoire du lecteur ou du spectateur qu’un texte. Donc moi, mon approche en bande dessinée, surtout quand je travaille avec un dessinateur qui est très expressif et qui a des capacités, de grandes capacités de travailler sur les détails, mon approche évidemment c’est de lui donner, c’est pas pour lui charger la mule hein, mais c’est de lui laisser faire ce boulot-là parce que je sais que ça imprimera beaucoup mieux les rétines mais aussi le cerveau du lecteur que si moi je tartine des explications.

En BD, il y a la ligne claire (signalons en passant que Joost Swarte qui est à l’origine de cette définition du style d’Hergé est le lauréat du Grand Boum de la ville de Blois 2022 et ce, pas plus tard qu’hier) mais aussi la ligne noire. Mezzo, vous êtes aujourd’hui considéré comme le chef de file européen de ce mouvement graphique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette ligne noire, ce concept graphique qui vous définit ?

M: En fait c’est de la ligne claire mais avec de la sculpture à l’intérieur. C’est à dire il faut travailler les lumières, travailler les lumières qui donnent de l’épaisseur et surtout du relief aux personnages; en fait, c’est des jeux de lumière, un espèce de clair-obscur utilisé comme moi je l’utilise. Ça, ça vient de mon accointance avec la bande dessinée underground américaine dont le chef de file est Crumb, on le sait. Moi, mes rétines avant d’être imprimées par Hergé que j’aime beaucoup parce que, je reviens à Joos Warte et Hergé qui ne sont pas du tout dans la même ambiance (l’un est moqueur un petit peu) … le trait est sublime : c’est deux grands artistes. Alors je reviens sur la ligne noire. La ligne noire en fait, oui, elle est très américaine. On m’a dit un jour « tu es le plus américain de nos dessinateurs français. » Mais j’y peux rien. Moi j’ai vu quand j’étais gamin des pochettes de Crumb, enfin des pochettes de disques de mes ainés entre autres celui de Janis Joplin très connu. Ma rétine est un peu imprégnée; en plus il lisait Actuel et Actuel était un peu le prescripteur de l’underground en règle générale et surtout américain puisque c’est de là que c’est parti. Donc avant de voir Hergé, Astérix et puis tout ça, j’ai dû voir ces dessins et ça m’a impressionné. Et en plus, c’étaient des gens qui parlaient de choses dont on ne parlait pas ici. Pour adultes. Alors que la bande dessinée dans les années 60, elle était dirigée quand même, avec Hergé, Astérix et autres, on va dire vers l’enfance. Qu’est-ce qu’il veut faire un enfant ? Il veut grandir et il veut regarder ce qu’on lui interdit de regarder en fait. Et ce dessin me paraissait plus saillant. J’aime bien les choses qui grattent et qui sont un peu …, qui donnent des difficultés à la rétine. Donc voilà l’underground américain et puis la ligne noire, oui évidemment. On sait que les principaux représentants sont américains mais il y a quelques auteurs ici qui se servent de ça aussi comme Rica … y’en a quand même pas mal. Et Muñoz par exemple dans une autre forme de bande dessinée classique, je ne sais pas si on le met dans la ligne noire, mais en tout cas son clair obscur est magnifique. Et puis le noir et blanc : j’ai une prédilection pour le noir et blanc, y’a rien à faire. Je veux dire le noir et blanc, bon ben voilà, ça ne ment pas. La couleur peut être un cache misère des fois. La couleur, c’est pour faire beau. Longtemps dans la bande dessinée, on l’a utilisée comme ça. En fait, si on utilise la couleur dans la narration au service du scénario par exemple je vais vous dire qu’un ciel rouge n’a pas la même signification qu’un ciel bleu… La couleur doit être utilisée de façon à la fois graphique donc esthétique et narrative aussi, c’est vachement important.

JMD : C’est d’ailleurs ce qu’on va faire dans le deuxième tome.[M : On va essayer.] Le deuxième tome, on ne peut évidemment pas échapper à la couleur parce qu’on est dans une époque très très colorée entre le Swinging London, le pop art et le psychédélisme et aussi, dans cette époque qui est un peu en kodachrome, c’est à dire que, autant la première partie des années 60 reste encore en noir et blanc – même dans les films on en voit encore beaucoup et dans les images – mais après, la couleur arrive et donc, ça c’est une idée de Mezzo – c’est moi qui en parle mais c’est lui qui en parlera mieux que moi – cette idée d’avoir, on n’est pas encore sûr de comment ça sera, mais en tout cas l’idée, c’est d’avoir des variations de couleurs puisque quand on sera dans le Swinging London, ça va exploser, ce sera ces couleurs de Sgt. Pepper quoi, c’est ce qui est le plus symbolique de ça ou les Moody Blues enfin ces trucs là…

Et sur le psychédélisme on va être sur les affiches psychédéliques d’Hendrix, de Jefferson Airplane, du Grateful Dead de Rick Griffin qu’on connaît tous très bien et aussi ces couleurs absolument incroyables que connaissent les gens qui ont fait des expériences psychédéliques, qui ont pris du LSD et des choses comme ça… C’est de ces expériences aussi que toutes ces couleurs et toutes ces créations artistiques sont issues, cette culture visuelle. Et donc il y aura ça mais on ne peut pas faire une partie complètement psychédélique ou complètement pop art, donc il va y avoir forcément des variations de couleurs d’où cette idée que finalement comme il y aura des variations de couleurs, tant qu’à faire, utilisons au maximum les variations de couleurs comme mode d’expression et mode de narration.

M: Voilà. Moi, j’ajouterai par exemple que j’ai déjà des idées. Je ne sais pas si je dois en parler là mais le kodachrome est apparu dans les années 60, enfin même un petit peu avant, il a commencé à être utilisé au cinéma et en photographie ; et aussi l’apparition des petits appareils, les polaroids avec lesquels vous avez des couleurs très particulières, c’est intéressant. On va utiliser la couleur puisqu’elle a été popularisée, on va dire dans les années 60 – il s’est passé énormément de choses dans les années 60 – donc je vais essayer d’utiliser des principes de couleurs de ces années-là. Il y a une façon de faire des couleurs rétro et des couleurs très modernes et ce n’est pas la même chose. Voilà. Je vais essayer de concevoir la couleur pour la narration. On va voir… Donc, je vais enlever aussi du noir (rires). Il y aura moins de noir pour laisser la place à la couleur.

Dans cet album, vous avez également introduit des nuances de gris, notamment dans les différentes textures des vêtements : on va avoir des imprimés, des chevrons, etc … et également dans des passages plus oniriques. Pourquoi cette entorse à votre pratique habituelle ?

M: Il y a un gain de temps déjà puisque je fabrique mes tissus sur Photoshop puis après je les applique. Donc sur les originaux qui sont visibles, il n’y a pas tout ça.

Les typos – vachement important – toutes les typos en fait, c’est du Photoshop aussi. Donc, j’ai photoshoppé. C’est la première fois que je le fais, je veux dire à ce point là en tout cas ; avant je dessinais tout. Mais les lettrages, il y en a tellement dans cette bande dessinée, les affiches … donc j’étais obligé d’utiliser Photoshop. Pourquoi pas ? Je ne suis pas non plus antimoderniste et vous verrez que le début de la bande dessinée n’est pas traité tout à fait de la même manière que la fin parce que j’ai pensé à cette évolution qui va aller vers la couleur justement. Donc le début est plus proche de Love in vain, avec des noirs et blancs très tranchés, très francs, et petit à petit, j’introduis des gris jusqu’à la fin où il y a carrément des ciels très gris. Comme on va doucement vers la couleur du prochain, il y a donc toute une évolution à laquelle il faut penser à l’avance : vers le second tome, vers la couleur.

Je voulais également parler du format carré. Alors le format carré, on sait … c’est le vinyle qui apparaît dans les années 60 également. Avec de belles pochettes … Mais vous, vous l’avez déjà utilisé dans d’autres albums alors que c’est un format qui est très peu utilisé en bd. Donc je suppose que s’il est très peu utilisé en bd, c’est que ça doit causer peut-être des contraintes au dessinateur. Vous l’aviez déjà utilisé dans Mickey Mickey , Un monde étrange et Deux tueurs

M: En fait ça pose des problèmes surtout aux collectionneurs de bandes dessinées parce que ça rentre mal dans les étagères et ça … comme je m’agace de ce genre de choses … Pour moi, les livres, c’est pas des uniformes, j’ai pas envie de ranger mes livres … j’aime bien les bibliothèques qui vivent … les trucs bien rangés, c’est pas pour moi. Donc je savais que j’ »emmerdais » quand même pas mal … Et les libraires ne savaient pas où le mettre. Il est carré et tout, etc … Et comme je suis un peu taquin, voilà c’est une des [raisons]. Sinon, il y en a une autre : c’est la contrainte graphique et c’est la page plus courte, donc la lecture est un peu différente. C’est très difficile à dire mais c’est surtout parce qu’on trouvait, hein Jean-Mi, que ça rappelait le vinyle et que le sujet s’y prête. Finalement, j’aurais préféré qu’il fasse la taille d’un 33. En fait, on s’est dit ça à un moment donné, on s’est posé la question…

JMD : On a fait des essais [M: mais c’est trop grand] C’est trop grand, c’est trop désagréable … C’est un peu pragmatique comme point de vue quand on fait un travail avec une ambition artistique, mais c’est très important parce que c’est comme d’aller voir un film dans un cinéma où on est mal assis, avec un son pourri et une image qui est moche, on n’aura pas la même perception du film, même s’il est bien, que si c’est confortable. Si on lit un bouquin et qu’on a les bords du bouquin qui font mal aux bras, etc…, que c’est trop lourd, qu’on n’est pas bien, eh bien on le lira moins longtemps. Et nous, notre idée c’est que quand les gens prennent le bouquin, qu’ils aient pas envie de le lâcher. Et si on part de ce point de vue là, eh bien il faut quelque chose de confortable, d’ergonomique et c’est pour ça qu’on a fait des essais et on s’est rendu compte que … de toute façon, ça, c’est le format d’un EP, ça existe – c’est un maxi single –, ça reste quand même dans l’univers du disque, y a pas de problème. En ce qui concerne le format, moi j’ai une approche qui est plus simple, parce que c’est pas ma compétence, que celle de Mezzo, mais je trouve que toujours travailler sur des formats avec des contraintes, c’est intéressant parce que ça permet de découvrir des choses, des possibilités qu’on aurait pas forcément imaginées et moi personnellement en tant que scénariste, cette approche-là m’intéressait parce que je savais qu’on avait eu des belles images en cinémascope avec ce format à l’italienne mais que là, on aurait un récit plus dense avec beaucoup plus de choses et tout ça… qu’on ne pourrait pas se permettre ce luxe d’avoir beaucoup de pages, de pleines pages comme ça. Mais ça m’intéressait quand même qu’on puisse avoir la possibilité d’avoir des images allongées, ce format 16:9e et donc du coup le format carré permettait au moins, ce qui est le cas dans beaucoup d’images sur une demi-page, d’avoir des formats comme par exemple celle du rêve chamanique. Donc on pouvait quand même garder cette dimension spectaculaire et cette magie du format parce que ce format donne une possibilité picturale particulière et au moins on pouvait se le permettre sur des demi-pages. Et donc moi je trouvais que ce format carré donnait cette possibilité, ce qu’on aurait pas sur un format classique.

M: Et puis, moi j’aime bien aussi : à chaque contenu son enveloppe, à chaque bonbon, son papier. Je suis tout à fait contre les histoires de collections; je ne sais pas pourquoi, c’est comme ça. Même en littérature, je trouve que – c’est fait pour être pragmatique, pour les ranger dans des bibliothèques – mais je trouve qu’il y a une forme qui correspond aux choses. Alors, c’est peut-être facile de défendre Love in vain puis que c’est un peu un cinémascope: le Mississippi est plat, on l’a dit 36 fois avec Jean-Mi, mais le Mississippi est plat. Si on avait fait un truc qui se passait dans les gratte-ciels de New York, peut-être que j’aurais fait un livre en hauteur. Peut-être, je sais pas, si je fais un Batman par exemple demain, eh bien pourquoi pas, puisqu’il est souvent en l’air dans les buildings… Oui, traiter un livre très en hauteur qui puise en Chine des formats hyper étroits et très hauts, c’est très beau. Et si je pouvais avoir un cercle, eh bien je le ferais. Ça serait pas mal. Je veux dire y lire comme un jeu de l’oie parce que j’aime bien le concept objet, l’objet. En fait, derrière ça, quand on pense à nos livres avec Jean-Mi, on se dit que si l’objet est beau, les gens … à un moment donné, vous élaguez, vous allez enlever des livres que vous avez lus. Moi, j’ai envie de mourir dans une bibliothèque quoi … être vivant, que mon livre soit jusqu’au bout dans la vie des gens dans la bibliothèque. C’est peut-être prétentieux, c’est peut-être un vœu pieux plutôt mais le livre, si je le respecte, c’est beau. Un livre, y’a rien de plus beau qu’un livre. C’est pourquoi je déteste l’ordinateur. Y’a un fétichisme de ma part mais Jean-Michel le partage. On fait partie du XXe siècle en grande partie et moi j’aime bien tourner les pages, l‘odeur et LA FORME. C’est vrai que Love in vain est très attrayant parce qu’il est tout en longueur. Pourtant, c’est un format qui existe depuis longtemps et pour revenir au carré, c’était réservé. Quand vous même vous parlez de Deux tueurs et Mickey Mickey que j’ai faits avec Michel Pirus… alors on a décidé ça parce que il n’y avait que dans la littérature, la bande dessinée enfant qu’il y avait des carrés et je me suis dit « c’est bizarre, on ne trouve pas de carrés dans la bande dessinée adulte ». Il y a dû y en avoir, hein, mais très peu.

Y’en a eu quelques-uns chez Glénat dans les années peut-être 90. Je sais que j’en ai deux dans ma bibliothèque qui viennent de chez Glénat – les titres m’échappent – et qui avaient ce format carré. Mais je pense qu’ils commençaient une collection justement et ils ont dû l’arrêter parce que je pense que ça ne marchait pas.

M: Eh oui parce que j’ai l’impression qu’il y a des formes qui déplaisent aux gens.

JMD : Oui mais si la forme n’est qu’une forme, cette question peut se poser mais si la forme rejoint le fond, c’est autre chose. [M :Ben voilà, c’est ça.] Et alors je pense que sur Love in vain alors que ce format est un format classique, il est tellement classique qu’il porte un nom « format à l’italienne », donc c’est bien la preuve qu’il existe et qu’il existe bien, donc à un moment donné si on nous en parle, ce n’est pas pour le format lui même c’est simplement parce que le fond rejoint la forme et que du coup il y a une adéquation qui crée, qui potentialise le récit et la manière dont le lecteur … [M : ait l’envie d’ouvrir et de posséder le livre] et c’est pareil pour le carré. Alors là, c’est un pari qu’on fait. Mais on sait que pour Love in vain, notre choix a fonctionné. Là, on ne le sait pas encore mais on nous en parle quand même pas mal. Mais en tout cas l’idée, l’envie c’est ça. C’est de créer un format qui rejoigne… que la forme rejoigne le fond.

Et au niveau des pages de garde aussi ça rejoint le fond parce qu’avec les pages de garde qui représentent le cosmos, quand on sait justement l’importance du cosmos pour Jimi Hendrix, … vous êtes allés vraiment jusqu’au bout, au bout du bout.

M: On essaie de penser. Sur Love in vain, c’est un … comment tu appelles ça déjà ? Un vévé ?

JMD: Sur Love in vain, on avait fait la même chose : on avait utilisé ce symbole que Mezzo a retravaillé justement pour faire un motif Photoshop (rires). Ça s’appelle un vévé et ce vévé est la clé de toute l’histoire du pacte avec le diable. Ce symbole est un symbole vaudou, du vaudou haïtien qui symbolise Legba, Papa Legba, une divinité vaudou africaine mais qui est devenu aussi dans le vaudou haïtien Papa Legba, le dieu du carrefour. Le dieu du carrefour, c’est celui qui exauce les souhaits donc le dieu du carrefour qui s’est transformé en diable dans la culture syncrétique du sud des États-Unis devient le diable qu’on rencontre au carrefour et le diable de Robert Johnson, donc dans ce symbole-là, il y a tout. Il y a toute la déconstruction en fait qu’on a essayé de faire de la légende du pacte avec le diable. Et après la dimension esthétique ayant rejoint cette histoire de fond et de forme, la dimension esthétique est rajoutée avec cette espèce de papier peint vaudou que fait Mezzo. Et d’ailleurs j’ai vu en ligne il n’y a pas très longtemps que des mecs le font. Y’a des gens qui vendent ce truc là et qui disent « oui c’est Legba, le vaudou » etc … et je me suis posé la question « Est-ce que c’est pas parce qu’ils ont vu le bouquin qu’ils ont trouvé ça joli, qu’il le commercialisent ?« 

M: Ah oui ! Ben, faut le déposer. Encore pour revenir sur le fond et la forme puisque tel est le sujet de la question, oui on va jusqu’au bout. Même dans l’emplacement. Moi, je suis graphiste en fait à côté, je ne fais pas que dessiner. J’ai un grand sens de la maquette et ça j’y tiens. Et je suis très prétentieux là dessus ; c’est à dire que je suis presque meilleur maquettiste que dessinateur, pour moi. Et je tiens à ce que l’objet soit vraiment soigné de A à Z. Et les pages de garde, c’est vachement important. On a tous eu les pages de garde d’Hergé qui nous ont fait rêver à un moment donné. On recherche des pages bleues là avec les dessins et tout… et moi je trouve que les pages de garde, c’est l’occasion d’envelopper dans une seconde couche, comme un papier cadeau, comme un rideau en fait. Moi, je vois ça comme un rideau et surtout dans celui là puisqu’il y a un retour c’est à dire que vous avez deux pages de garde et moi j’aime bien quand il y a un retour. On dirait vraiment un rideau qui s’ouvre : c’est  « rideau! » et vous rentrez dans l’histoire.

JMD: Puis là, moi y’a un truc qui me plait bien. On ouvre, on a Kiss the sky, on ouvre sur le cosmos et j’aime bien que le ciel soit en face de la page titre dans laquelle on voit Jimmy qui dort [avec sa guitare].

M: On a discuté. On a mis une semaine pour se mettre d’accord sur l’image qu’on allait mettre là. On réfléchit sur tout en fait. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’auteurs qui, une fois qu’ils ont fait leur travail qui est colossal certes de dessin, de scénario et tout, délaissent totalement l’objet en laissant l’objet aux bons soins de l’éditeur. Je ne pourrai pas. Moi, je ne pourrai pas laisser mon bébé à quelqu’un d’autre quoi. Notre, bébé, excuse-moi. (rires). Donc on essaie, on a le même état d’esprit avec Pirus, Jean-Michel, moi et j’en connais d’autres comme ça, du soin à l’objet jusqu‘au bout. Vous avez envie de le toucher, vous avez envie de le prendre, même sans l’ouvrir vous le trouvez beau. C’est ce qu’on essaie de faire.

JMD: Et surtout on a envie de le garder. En bande dessinée, c’est important, il y a une telle production. Surtout les gens qui sont amateurs en ont tellement qu’à un moment ils sont obligés d’épurer. D’une certaine manière, ce n’est pas le but premier mais quand même cette idée que ce qu’on fait est quelque chose que les gens garderont, en disant « non ben celui là je le garde parce que c’est un bel objet et donc c’est plus qu’un livre et donc je veux pas le mettre … [M: « C’est une sculpture« ] … je vais pas le vendre sur eBay ou je vais pas m’en débarrasser.« 

M: Comme les couvertures, les couvertures aussi c’est vachement important. Avant de décider tous les deux de cette couverture, on a essayé plein de trucs. La couverture, elle doit avoir du sens, il y a du signifiant. C’est pas n’importe quoi. « Tiens, vas-y Jean-Michel, explique pourquoi on a pris cette couverture« .

JMD: L’idée c’est qu’au départ, on avait besoin d’un titre et on s’est mis d’accord sur ce titre que j’ai proposé à Mezzo. Il a été partant tout de suite parce que ce titre à plein de sens différents: sa passion pour l’astronomie, le fait qu’il vive la tête dans les étoiles, le fait qu’il soit passionné de science-fiction … le côté Icare moderne dont parle Nick Kent dans la préface, mais aussi cette idée les étoiles dans le sens l’envie de réussite, de devenir une star. Et donc il nous fallait, une fois qu’on avait ce titre, trouver une image qui puisse fonctionner avec le titre, qui puisse répondre au titre. Et en fait, on a eu de la chance, enfin c’est Mezzo qui l’a trouvée: c’était parfait! Cette image est bien parce que non seulement elle répond au titre, mais elle répond avec plusieurs niveaux de lecture. Il y a une polysémie dans le visuel qui fait que du coup quand Jimi regarde vers le haut et qu’en plus cette polysémie est accentuée par le point de vue, parce que comme elle est en contre-plongée – l’image au départ est en contre-plongée, c’est déjà une bonne idée pour le récit – mais dans le contexte de la couverture, c’est encore mieux parce que cette contre-plongée augmente cette sensation du regard de Jimi vers le haut. Et ce que Jimi regarde vers le haut c’est « je me voyais déjà en haut de l’affiche » comme dirait Aznavour et je me voyais aussi dans le ciel pour devenir une star mais je me voyais aussi dans le ciel parce que j’ai la tête dans les étoiles et que je suis complètement déconnecté de la réalité et que je suis quelqu’un qui suis rêveur etc … Et en plus, en même temps, quand je regarde tout ce qui structure, est au centre de cette image, c’est une salle de spectacle mythique emblématique de la musique noire américaine qu’est l’Apollo et donc Apollo, ça renvoie évidemment à l’espace. Donc là, on avait tout. On a tout, mais ça c’est magique.

M: Et en plus l’Apollo qui était un arrêt obligatoire pour tous les jeunes gens qui voulaient devenir … Et en plus, faire une couverture sur Jimi Hendrix dans sa jeunesse avec Amateurs Night – il était encore un amateur – alors que nous, Jimi Hendrix on le voit comme un super héros de la guitare et en fait il a été amateur un moment donné. C’est un moment d’ailleurs vachement beau dans la bande dessinée où il cherche Harlem ; Y’a des mecs qui lui disent voilà « Ah oui t’as joué avec … » Ils le croient pas et puis ils l’envoient à l’Amateurs Night. Et puis aussi je trouve qu’il y a, alors pas dans toutes, y’a de plus en plus de belles couvertures en bande dessinée, ça commence à être je trouve de plus en plus soigné, vachement de bons maquettistes et tout mais malgré tout il reste un truc enfantin dont j’aimerais que la bande dessinée se départisse. Pour moi, les plus belles maquettes de livres, les livres les plus beaux, c’est souvent, même pas les livres de peinture, c’est les livres de photos, de photographes. C’est souvent d’une classe folle. J’veux dire y’a juste une typo avec une photo. Et ça ça m’inspire, ça m’inspire beaucoup pour faire cette couverture. Vous savez ces grands aplats noirs avec une petite photo et puis, y’a une grosse typo et ça, on est d’accord aussi avec Jean-Michel la-dessus. C’est incroyable pourtant : tant de moyens, de beauté dans les livres photo et non pas dans la bande dessinée ou on a encore des trucs foutraques, pas tous j’veux dire … De plus en plus, les éditeurs soignent les couvertures; et les auteurs les soignent aussi mais il reste ce truc potache dont j’aimerais que la bande dessinée se départisse, le vire. C’est pas possible. Il y a encore du travail, je trouve, pour la faire accepter cette bande dessinée. Alors que c’est quand même un des médias les plus forts, il faut le dire.

C’est une belle conclusion. Merci à vous deux pour cet entretien passionnant.

Interview de Francine VANHEE

POUR ALLER PLUS LOIN

La chronique de l’album

L’expo

Pour illustrer les propos de Mezzo sur les couvertures, la magnifique couverture du chef d’oeuvre « Le roi des mouches » qui vient d’être édité en intégrale chez Glénat.

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2 réponses à “Interview Jean-Michel Dupont & Mezzo”

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