Expo « Fabcaro sur la colline »
Musée de la bande dessinée Angoulême
jusqu’au 5 mars 2023

Quand on entend « exposition patrimoniale » et « rétrospective à la cité de la bd » , le nom de Fabcaro n’est pas celui qui nous vient spontanément à l’esprit. Et pourtant le Musée de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême consacre du 12 juillet 2022 au 5 mars 2023 une grande exposition sur plus de 350 m2 à « l’auteur de Zaï zaï, zaï, zaï » sous l’égide d’un triumvirat de commissaires de choc : Camille de Singly, Mathieu Charrier et Maël Rannou !
POURQUOI CE CHOIX DE FABCARO ?
Matthieu Charrier explique :
« A la cité de la bande dessinée on a plutôt l’habitude de faire des expositions de patrimoine, c’est-à-dire de mettre en avant des auteurs classiques – qui pour certains d’ailleurs sont disparus- et l’on s’est dit que ce serait chouette de faire une exposition sur un auteur contemporain qui a marqué son époque, qui a marqué la bande dessinée et surtout qui fasse le lien entre la bande dessinée « alternative » et « grand public » ».

Fabcaro est ainsi rapidement apparu comme une évidence aux futurs commissaires de l’exposition puisqu’ au départ ses œuvres avaient des tirages à quelques centaines d’exemplaires et paraissaient dans des fanzines ou étaient édités à « La Cafetière », que l’auteur lui-même s’estimait à son apogée avec « Carnet du Pérou », sa sélection au FIBD et ses 4500 exemplaires vendus mais qu’il est soudain devenu, il y a 7 ans maintenant, un phénomène d’édition avec 350 000 exemplaires écoulés de l’album Zaï Zaï Zaï Zaï, et 85 000 du récent Moon River.


UN PARCOURS SCENOGRAPHIQUE DE LECTURE(S)
L’œuvre variée de Fabcaro est magistralement mise en scène et en scènes car dans « Fabcaro sur la colline » , il y a eu un parti pris scénographique sur deux plans :
D’une part, on remarque ainsi d’entrée de jeu des COULEURS SUR LES MURS qui délimitent les différents espaces. Comme le souligne Camille de Singly :
«Ça peut sembler étonnant mais on est sur des couleurs qui sont assez tendres assez pastel qui correspondent aussi à la palette de Fabcaro et qui étaient une manière d’essayer de faire ressortir cette importance de la couleur dans son travail » .





Cette importance de la couleur se retrouve d’ailleurs dans la confortation des planches originales et des planches éditées mises en regard dans l’exposition. Le visiteur a ainsi la possibilité d’aller regarder l’album édité, imprimé, et la planche originale avec des variations de couleur, des variations de format.


Donc il fallait donner accès aux albums pour les lire et dans cette scénographie d’exposition, le 2e point important d’autre part c’est la mise en place D’ESPACES DE LECTURE VARIÉS.
Là encore on retrouve un jeu par rapport aux univers domestiques très importants chez Fabcaro qui correspondent souvent à des univers de joute ou de combat donc d’où le ring que l’on trouve au centre de l’exposition mais la table de cuisine en formica est aussi un espace de discussion, d’échanges parfois houleux, tout comme le lit peu être un espace de dispute/discute.



Chacun de ces espaces n’est pas un simple décor qu’on regarde mais un espace qu’on pratique. On remarquera d’ailleurs qu’eux aussi correspondent à des espaces de lecture dans nos vies : on s’ installe à la table de cuisine pour lire quelques minutes, on lit pendant des heures dans un lit, ou on s’installe dans un canapé pour lire confortablement…

DU BÉDÉPHILE AU BÉDÉASTE
Dès ses premières planches, l’auteur a souvent fait allusion à son travail de bédéaste. Et l’exposition retrace ce PARCOURS de façon BIOGRAPHIQUE (et presque autobiographique puisque de longs extraits d’interviews de Fabcaro ornent les murs). Il rêvait petit de « faire des livres » et a toujours lu de la bande dessinée ainsi que des romans : l’expo montre d’ailleurs bien que ce n’est pas un auteur de BD qui fait du roman ou un romancier qui fait de la BD mais que c’est quelqu’un qui a toujours fait les choses en parallèle.


Comme tout enfant des années 70, il a lu « Spirou », « Pif gadget », « Astérix » … il a aussi dévoré l’œuvre d’Ibanez, un auteur espagnol inconnu en France, car sa famille immigrée espagnole républicaine habitait près de la frontière et retournait durant les vacances à Barcelone. Dans le sas d’entrée de l’exposition sont mises en lumière ses filiations revendiquées grâce à des planches appartenant aux collections permanentes du Musée qui forment une sorte de « mood board » ( ou mur d’inspiration) de l’artiste.



On n’y trouve malheureusement pas d’Ibanez mais l’on se rend compte que l’auteur a des influences évidentes comme Gotlib et son humour absurde qui est un choc à l’adolescence tout comme Goossens ou même Trondheim et son « Lapinot » dans les années 90 mais que l’artiste a aussi été influencé par des gens comme Blutch, Nicolas de Crécy ou d’autres auteurs qui n’ont rien à voir graphiquement avec lui. On y perçoit ainsi tout le substrat sur lequel s’appuie le parcours de Fabrice Caro car il commente les planches dans des cartels.


Ensuite on assiste à sa NAISSANCE en tant qu’AUTEUR DE BD. Du premier article qui lui est consacré dans la presse locale alors qu’il n’est encore que lycéen et professe son admiration pour Gotlib tout en effectuant des caricatures inspirées de Morchoisne et de Mulatier,


à sa collection de lettres de refus d’éditeurs (dont une lettre d’anthologie de 6 pieds sous terre qui deviendra « sa » maison par la suite !).



En effet, celui qui a fait par raison une licence de sciences physiques a acheté, adolescent, un annuaire de tous les concours de nouvelles et de bandes dessinés répertoriés en France et a très régulièrement participé à ces derniers avec plus ou moins de bonheur. Mais cela va le faire connaitre petit à petit et il va ainsi publier dans quasiment tous les magazines qui existent : « L’Echo des savanes », « Cram x » « Alimentation générale » … revues parfois complètement oubliées.

Les années galère ne sont nullement édulcorées : au « wall of shame » des lettres de refus, fait face une vitrine contenant tout un mur de travaux de commandes : les blagues en BD de Franck Dubosc et Elie Semoun et autres albums potaches signés sous le pseudo transparent de Fab.

On a véritablement une désacralisation voulue de la figure de l’artiste dans cette salle avec l’exposition d‘une partie de la collection de cet acheteur compulsif de vieilles cassettes audio et surtout grâce au traditionnel reportage de « l’auteur au travail ».

© J. Desbois

En effet, ce dernier est tourné en super 8 et en muet avec presque un rythme à la Chaplin et au lieu d’y découvrir le dessinateur trôner dans un bel atelier on le voit travailler mal installé à sa table de cuisine en formica ! Ce détournement du cliché amène bien sûr le sourire mais participe plus sérieusement d’une entreprise autobiographique avec la volonté de montrer un dessinateur « dans la vérité de sa nature » tout en reprenant également l’autodérision si chère à l’auteur.

La première salle d’expo est ainsi un creuset qui à travers des planches inédites , des projets avortés (« Grenoble ») ou des publications dans des fanzines très confidentiels montre comment s’élabore petit à petit le style graphique de Fabcaro.



EXPÉRIMENTATIONS GRAPHIQUES
L’accent est ici mis sur dans une deuxième salle sur les principaux albums. Le parcours n’est pas exactement chronologique mais permet d’aller de « Steak it Easy » (2016) un recueil de plusieurs petits albums précédemment parus aux éditions de La Cafetière


jusqu’aux albums les plus récents comme « Moon river ». On y présente moins des histoires sur une planche que des histoires au long cours.


Dans cette salle, une place à part est faite à « Zaï zaï, zaï, zaï » l’album le plus célèbre (dont le titre est emprunté à la chanson de Joe Dassin « siffler sur la colline » d’où le titre de l’exposition) qui correspond au moment où il va décoller complètement en termes de renommée et s’autoriser aussi de plus en plus en fait à faire des expériences dans le champ de la bande dessinée en allant chercher des modèles qui sont différents des premières sources d’inspiration qu’il a eues.



Camille de Singly déclare :
« Il y a quelque chose de très étonnant chez Caro c’est le fait de ne de ne pas se penser comme un bon dessinateur. Il l’a dit régulièrement en entretien. Or objectivement c’est un très grand dessinateur et donc on avait envie dans cette 2e salle de faire la place aussi à ce dessin et à cette très grande variété de dessins ».

Cette VARIETE est ainsi mise à l’honneur. On y perçoit très clairement comment Fabcaro met en place une diversité de styles dans ses albums en fonction de ses projets.
Sur « Carnets du Pérou » par exemple on a un système de faux carnets de voyage qui alternent avec des scènes domestiques où il est chez lui avec sa femme et sa fille qui le chambrent sur la façon dont il travaille. On passe d’une palette de dessins réalistes type carnet de voyage à un graphisme plus proche de la caricature lorsqu’il évoque des saynètes autobiographiques.


On va aussi retrouver le roman photo dans « Et si l’amour c’était aimer » ou « Guacamole vaudou » ou une référence au cinéma et au monde du western dans « Moon River » .


A chaque fois des expériences plastiques accompagnent cette convocation d’autres genres et d’autres médias.


On peut ainsi admirer dans cette salle des dessins qui correspondent à des techniques différentes par exemple les planches A3 au crayon de couleur de « Formica » qui tranchent avec le A4 noir et blanc des débuts.


On remarquera d’ailleurs en regardant toutes ces planches originales qu’on y trouve très peu de « repentirs » alors qu’en général quand on voit des planches d’auteurs de bandes dessinées il y a toujours du tipex, il y a des systèmes de collage, de reprise, de « rustines » alors qu’ici on a efficacité et fluidité.

ENGLISH HUMOR ET ADAPTATIONS
Grâce à la première salle on percevait également comment Fabcaro allait rapidement être reconnu comme un scénariste efficace pour du gag , forme assez rare en France (gag strip ou le six cases en demi page)

et comment il allait se retrouver à scénariser pour James ou Fabrice Erre dans « Fluide glacial » ou « Spirou » et à collaborer avec d’autres auteurs telle Eve-Marie. Nous pouvons pleinement admirer cela dans la dernière salle grâce aux planches exposées.



« On s’est dit que ça pouvait être chouette de montrer comment Fabcaro a révolutionné une manière de faire de la bande dessinée avec ses gags très fixes, ces dessins qui finalement changent assez peu et qui pourtant sont pleins de vie puisque les dialogues eux donnent vie aux personnages. C’était l’auteur parfait à explorer »
décrète Mathieu Charrier.
Fabcaro a en effet une approche très particulière de l’humour, marquée par le non sens anglais et le Monty Python, l’art de la chute, et ancrée dans une satire parfois féroce de nos travers contemporains. Comme le précise Matthieu Charrier :
« C’est un humour d’observation c’est-à-dire que c’est quelqu’un qui s’observe, qui nous observe et qui nous raconte ça et je pense que c’est pour ça que ça fonctionne. Je vous défie dans peut-être une page sur deux de chacune de ses BD de pas vous dire j’ai déjà vécu cette situation et c’est ça la force de Fabcaro. »


L’auteur a toujours fait de la musique et dans les groupes auxquels il appartenait il était parolier. Cela se retrouve dans son style : il privilégie le monologue intérieur et les tirades, joue de la stichomythie aussi. C’est cette plume fluide et acerbe de ses scénarii ou de ses romans qui va constamment donner envie à d’autres artistes de collaborer avec lui : dessinateurs (James et Erre par exemple comme on l’a déjà dit) mais aussi humoristes comme Blanche Gardin. Il va aussi être constamment adapté et transposé : son premier roman « Figurec » est adapté en BD par Christian de Metter.


tandis que « Le discours » et tout récemment « Zaï , zaï, zaï, zaï » sont devenus des films et les spectacles théatraux se multiplient. On peut en voir des extraits dans l’exposition ainsi que visionner des entretiens inédits de Blanche Gardin ou de Jean-Paul Rouve qui expliquent ce qui les a séduits chez Fabcaro.

A l’issue de cette visite, si nous ne l’étions pas forcément au départ, nous devenons convaincus que finalement l’expo Fabcaro n’est pas si détonante que cela dans l’institution ! Elle dure jusqu’au 5 mars : si vous le pouvez précipitez-vous y, sinon plongez vous dans le catalogue d’exposition édité par 6 pieds sous terre !
LE CATALOGUE d’EXPOSITION

On y retrouve l’intégralité des planches de Gilles Rochier qui servent de notice biographique, une longue introduction des commissaires d’exposition, l’entretien de ces derniers avec le dessinateur dont de larges extraits sont reproduits sur les murs des trois salles, un essai passionnant sur la musique et les chansons dans l’œuvre de l’auteur par Hélène le Roy Ladurie, l’analyse des ressorts de l’humour fabcarien par Henri Garric et Camille de Singly, le panorama des collaborations de Fabcaro par Maël Rannou et celui de ses adaptations par Mathieu Charrier. L’ouvrage se clôt sur un témoignage de Blanche Gardin et un hommage très irrévérencieux d’Emily Gleason en BD. L’ensemble des différents chapitres (délimités par des pages pastel monochromes) qui compose ce catalogue est richement illustré et l’on trouve surtout deux cahiers graphiques reprenant des planches de Fabcaro qui n’ont pas été publiées. Bref à déguster avant de vous replonger dans la riche bibliographie de « l’auteur de Zaï zaï zaï , zaï » ou dans son prochain ouvrage qui ne saurait tarder !
Texte et photos Anne-Laure GHENO
(Bd Otaku)
