HOKA HEY!


Hoka Hey!

Hoka Hey!
Scénario : Neyef
Dessin : Neyef
Éditeur : Rue de Sèvres
Collection Label 619
224 pages
Prix : 22,90 €
Parution :  26 octobre 2022
ISBN 9782810202294

Ce qu’en dit l’éditeur

Dès 1850, les jeunes amérindiens étaient internés de force dans des pensionnats catholiques pour les assimiler à la nation américaine. En 1900, la population des natifs en Amérique du Nord avait diminué de 93%. La plupart étaient morts de nouvelles maladies importées par les colons, d’exterminations subventionnés par l’état, et lors des déportations. Georges est un jeune Lakota élevé par le pasteur qui administre sa réserve.
Acculturé, le jeune garçon oublie peu à peu ses racines et rêve d’un futur inspiré du modèle américain, en pleine expansion. Il va croiser la route de Little Knife, amérindien froid et violent à la recherche du meurtrier de sa mère. Accompagné de ses deux comparses, celui-ci arrache Georges à sa vie et l’embarque dans son périple. Au fil de leur voyage, l’homme et le garçon vont s’ouvrir l’un à l’autre et trouver ce qui leur est essentiel : l’apaisement de la colère par la transmission de sa culture pour l’un et la découverte de son identité et de ses origines pour l’autre.

Le western est à la mode et se décline sous toutes les formes : parodique comme le « Mondo Reverso » de Bertail et Gouffelec ou le « Walter Appleduck » d’Erre et Fabcaro, féminin voire féministe avec « Ladies with guns » d’Anlor et Bocquet ou « La Venin » d’Astier, métalinguistique même pour le « Stern » des frères Maffre ou dans une lignée plus classique tel le « Undertaker » de Meyer et Dorison.

Aussi, même si ce n’est pas forcément là qu’on attendait Romain Maufront – alias Neyef – pour ses premiers pas d’auteur complet, n’est-il finalement pas étonnant que l’auteur de « Bayou Bastardise » cherche à son tour à apposer sa marque à ce genre codifié en publiant sous le label 619- Rue de Sèvres « Hoka Hey » un copieux one shot de 220 pages? Pour lui, en effet, c’est un genre « extrêmement malléable » qui repose sur « la mise en scène et la caractérisation des personnages ». Nous verrons donc comment il a fait d’ « Hoka Hey » selon ses propres mots, « une quête identitaire violente et poétique ».

WILD WILD WEST

Georges est un jeune Indien né dans la réserve de Pine Ridge dans le Dakota avant d’être arraché aux siens. Nourri de versets bibliques qu’il récite par cœur, il sert d’attraction au pasteur pour se faire valoir auprès de sa dernière conquête lors d’un pique-nique champêtre.

Mais le bucolique s’arrête quand survient dans ce cadre idyllique un singulier trio. Un Lakota , « Little Knife » habillé à l’occidentale mais arborant peintures de guerre sur le visage et longues nattes, une indienne « No Moon » au visage mystérieusement dissimulé sous un foulard et Sully un Irlandais. Ils sont en quête d’un homme blanc que connait le pasteur. Après l’avoir fait parler, ils l’éliminent ainsi que sa compagne et embarquent avec eux le petit garçon devenu témoin gênant sans se douter qu’un chasseur de primes est à leurs trousses …

Avec le début in medias res, nous assistons d’emblée à une explosion de violence et celle-ci est redupliquée « hors champ » par le récit du bounty hunter qui les pourchasse lorsqu’il s’adresse au commerçant du comptoir qui en a fait les frais lors d’une fusillade.

Mise en scène de la violence

Il lui apprend que « le gang de Little Knife pille tout ce qui appartient à des Blancs entre le Wyoming et le Dakota » (p.67). Ce sont surtout « les compagnies minières et ferroviaires » qui en font les frais car elles « scarifient les plaines ». Il lui raconte également qu’une fois l’argent dérobé « ces don Quichotte peau-rouge » brûlent leur butin. Les séquences d’action se multiplient, le gaufrier classique explose, les cases deviennent anguleuses. Le dessinateur joue alors du montage alterné et du changement de plan de façon dynamique et ultra cinématographique.

Pourquoi un tel comportement ? pourquoi une telle violence ? Ce sont dans de telles interrogations plus que la quête de l’homme blanc avec qui Little Knife a des comptes à régler ou le thème classique de la vengeance que réside l’intérêt.

UN RÉCIT DE FORMATION

En effet, le lecteur va être en effet petit à petit « initié », tout comme Georges. D’abord interloqué par cette violence abrupte, voulant à tout prix s’enfuir, l’enfant « pomme » (rouge à l’extérieur et blanc à l’intérieur !) va peu à peu s’attacher à ses geôliers. Le gang et le petit « acculturé » s’apprivoisent après une phase de méfiance réciproque.

On peut dire alors que Little Knife va endosser le rôle de Mentor du petit orphelin, No Moon celui de mère de substitution et Sully l’irlandais devenir une sorte d’oncle. Tous les trois servent de guides au premier pour l’aider à comprendre d’où il vient et nous permettre à nous, lecteurs, d’appréhender la culture amérindienne. Au départ, encombré par sa documentation, Neyef avait d’ailleurs pris le chemin d’une bd documentaire mais il a finalement choisi pour notre plus grand bonheur de mettre ses connaissances au service du parcours du héros et non l’inverse. Nous apprenons ainsi tout un tas de choses sur les us et coutumes lakotas ( rapport à la nature, culte des morts, croyances, mode de vie) non pas de façon artificielle mais « en action » et « nécessairement » en même temps que Little Knife et No Moon les enseignent et que Georges les intègre. Il va ainsi redécouvrir des racines qu’on lui avait cachées tandis que nous découvrons la place de l’Indien dans l’histoire américaine.

« Hoka Hey ! » est un cri de guerre que l’on peut traduire par « en avant » mais c’est surtout une citation tronquée de Sitting Bull  dont la deuxième partie était « Today is a good day to die ». A lui seul le titre résume le baroud d’honneur que fut celui du chef Sioux mais également de Little Knife et à quelques années d’écart celui de Georges. À travers ce cri, on a bien une filiation qui s’établit : une envie de lutter contre tous pour préserver ou acquérir son identité et défendre ses valeurs et la dénonciation aussi de tout un pan sombre de l’histoire américaine allant des guerres indiennes aux traités constamment bafoués et au parcage des Amérindiens dans les réserves avec effacement de leur culture. « Hoka Hey » invite ainsi à une relecture de ce qu’on a enjôlivé et réécrit par la suite dans des livres et des westerns pour fonder un « roman national ». 

Neyef parvient très bien à rendre le conflit identitaire présent chez le jeune garçon qui évolue entre deux mondes. Peut-être a-t-il puisé en cela dans sa propre vie ( sa maman est franco-vietnamienne) mais sans manichéisme.

LE REFUS DU MANICHÉISME

En effet, l’auteur ne tombe jamais dans la tentation hagiographique du mythe du bon sauvage. Little Knife est ainsi présenté parfois comme cruel : il était même prêt à tuer Georges au début pour qu’il n’entrave pas sa marche ; de même le mari de No Moon a abusé de la coutume pour venger son orgueil de mâle cocufié. Il n’y a donc pas d’un côté les bons Indiens et de l’autre les méchants cowboys. Le médecin qui recueille Georges, loin du cowboy à la John Wayne, ne montre aucune fierté d’avoir combattu durant les guerres indiennes, au contraire. Cela le tourmente chaque jour tandis que le bounty hunter lui-même voit son travail de chasseur de primes non pas comme une fin mais comme un moyen de se ranger et de mener la vie paisible à laquelle il aspire….et la fin en deux temps vient logiquement parachever cette vision d’une nature humaine complexe.

UN RÉCIT CONTEMPLATIF ET UN HYMNE À LA NATURE

L’album est très abouti graphiquement. Les scènes d’action traditionnelles que nous avons évoquées alternent avec de longues séquences en pages muettes aux somptueux paysages, véritables odes à la nature qui rappellent la philosophie qui nourrit tout le mode de vie Lakota : « La nature et nous en formons qu’un tout. C’est nous qui appartenons à la Nature, pas l’inverse ». La Nature devient presque personnage à part entière.

Durant ces pages de « trêve », le lecteur respire tout comme le héros. Les plans deviennent panoramiques et utilisent a minima le strip (qui rappelle le format cinémascope) et plus souvent des demi pages voire des pages entières. Neyef apporte un soin tout particulier aux lumières et à ses reflets changeants à la manière d’un Lubtezki dans « The Revenant ».

On admirera les pages immersives avec leurs hautes herbes, leurs ciels tourmentés, leurs camaïeux de roches qui rappellent les peintures de Glenn Dean avec cette fois des Indiens jouant les premiers rôles. La colorisation est particulièrement réussie. Quant aux longues séquences muettes qui instaurent un rythme particulier, elles ne sont pas sans évoquer certains westerns « contemplatifs » qu’apprécie l’auteur. Je pense particulièrement au « Dead Man » de Jim Jarmusch et ses (très) longs plans séquences ou bien plus récemment à « L’assassinat de Jessie James par le lâche Robert Ford» de Dominik où l’on trouve les mêmes tonalités ocres et les travellings sur les paysages ainsi que l’atmosphère crépusculaire qui règne dans l’album et enfin à « Hostiles »de Cooper dont la Bd reprend le côté road movie mais aussi les thèmes de la spoliation, de l’acculturation et des traditions amérindiennes par le biais d’un trio.

Échos de l’album à la toile

Cases de Neyef

Toiles de Glenn Dean

« Hoka Hey » est un western nostalgique et mélancolique comme le montre sa couverture avec son indien « en majesté » présenté en contre plongée, à cheval, en haut d’une colline sur fond de coucher de soleil. Cette image crépusculaire constitue l’image symbolique de la fin de la culture Lakota ; elle fait d’ailleurs écho à un autre album atypique : le « Ghost Kid » de Tiburce Oger qui narrait quant à lui la fin de la figure du cowboy et du mythe de l’Ouest…

« Hoka Hey » a reçu le prix des libraires Canal Bd au dernier festival d’Angoulême et ce n’est que justice. Il sort du cadre de la Bd de genre. Il dépasse le récit de vengeance et le thriller pour devenir un récit psychologique autour de la thématique de l’acculturation forcée rejoignant ainsi le «Payez la terre » de Sacco mais avec beaucoup plus de rythme que ce dernier ! C’est un album incontournable tant par la caractérisation de ses personnages que par son graphisme abouti. Neyef a bigrement réussi son pari dans cette roadbd poétique et nostalgique qui l’a occupé durant deux longues années. On soulignera enfin le soin apporté à l’édition (papier au fort grammage, impression mate, dos toilé) qui forme un bel écrin à cette œuvre coup de cœur et l’on attend avec impatience sa relecture des « enfants perdus » du monde de Peter pan et de JM Barrie !

POUR ALLER PLUS LOIN

Interview de Neyef

Les sources d’inspiration de l’auteur

Des films

Jim Jarmusch

(1995)

Andrew Dominik (2007)

Scott Cooper

(2017)

AUTRES REGARDS EN BD

Sur l’acculturation et le sort des Amérindiens

L’ouvrage collectif

sous la direction de Tiburce Oger Indians ! (2022)

Payer la terre de Joe Sacco (2020) qui montre que l’acculturation s’est poursuivie bien au-delà du XIXe.

On pensera également dans cette optique aux Pizzlys de Jérémie Moreau et à René.e aux bois dormants d’Elen Usdin

Cliquez sur la photo pour accéder à la chronique

Un western crépusculaire de Tiburce Oger

Cliquez sur la photo pour accéder à la chronique

Chronique d’Anne-Laure GHENO

(Bd Otaku)


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